Au départ, Eric Guéret voulait faire un film sur un plan social, dans une région désindustrialisée. Il comptait se centrer sur la question suivante : comment des hommes et des femmes d’une cinquantaine d’années s’organisaient pour survivre quand ils perdent leur travail dans des secteurs extrêmement touchés par le chômage de masse ? Le réalisateur se rappelle :
"La région du nord m’intéressait particulièrement. J’ai cherché pendant des mois. Un jour, j’ai entendu que des salariés de l’aciérie Ascoval, proche de Valenciennes, avaient arrêté la production et bloquaient les carrefours autour de l’usine pour protester contre sa fermeture imminente. J’ai sauté dans ma voiture et je suis allé les retrouver, à 5 heures du matin, autour d’un feu de pneus, à côté de l’usine. Je me suis installé avec eux et j’ai commencé à tisser des liens. Une semaine plus tard, ils ont eu rendez-vous à Bercy et une solution provisoire a été trouvée. Ils ont obtenu des commandes et des aides pour survivre encore quelques temps. Ils avaient un an pour trouver un repreneur et sauver l’aciérie. Mon projet de filmer un plan social est tombé à l’eau. Le film aurait pu s’arrêter là."
Mais Eric Guéret avait déjà eu le temps de s’attacher aux salariés, qui dégageaient une force incroyable. Le metteur en scène sentait qu’ils ne lâcheraient rien et qu'ils voulaient tout tenter pour survivre. Il se souvient : "Mais il est très difficile d’obtenir l’autorisation de filmer à l’intérieur d’une usine. Alors j’ai tenté le tout pour le tout et j’ai pris contact avec Cédric Orban, le directeur de l’usine. Il a accepté de me recevoir. Je lui ai dit la vérité, simplement. J’avais envie de suivre cette année périlleuse en filmant librement dans l’usine, au plus proche des employés. A ma grande surprise, il a accepté sans conditions. Il a cru au projet en me disant « au mieux cela montrera que l’on peut sauver l’industrie en France, au pire ça offrira aux salariés un beau souvenir ». Le lendemain je me présentais à la porte de l’usine. J’ai eu une formation de sécurité, ils m’ont donné un équipement de protection et j’ai commencé à partager le quotidien de ceux qui deviendront les héros du Feu Sacré."
Toutes les usines sont des lieux potentiellement dangereux mais une aciérie (où l'on fabrique de l'acier) est, selon Eric Guéret, ce que l’on peut imaginer de pire. "Vous côtoyez des poches d’acier liquide chauffées à 1700 degrés, il y a des projections de métal lors de certaines opérations, des déplacements de charges lourdes. Et des moments particulièrement critiques comme lors du chargement de la ferraille dans le four. A cet instant par exemple personne ne doit être à découvert face au four. Le chef de poste au four, Jean-Michel Peressoni, a pris beaucoup de temps pour me montrer les lieux. Il en connait chaque recoin. Avec patience et passion, il m’a transmis beaucoup de savoir. Il m’a expliqué chaque phase de la fabrication de l’acier. J’avais envie de tout comprendre, pour être capable de filmer au mieux. Il m’a aussi alerté de tous les dangers. Et peu à peu, m’a laissé me déplacer seul", confie le cinéaste.
Éric Guéret est un réalisateur français de documentaires spécialisé dans le cinéma de proximité, filmant en immersion totale pendant de longues périodes. Combats collectifs, comme dans Greenpeace, Opération plutonium, Tous ensemble qui suit celui des syndicalistes de la CGT et Le Feu Sacré qui partage la lutte des salariés de l’aciérie Ascoval, la plupart de ses films raconte des combats, sous toutes leurs formes. Il s’est par ailleurs beaucoup penché sur les luttes contre les violences et les discriminations. Le film Les insoumises co-réalisé avec Frédérique Menant parle de femmes qui font face à la violence masculine, Homo la haine de l’homophobie et de ses conséquences, ou encore Trans c’est mon genre du rejet des personnes transgenres. Ses derniers films se penchent plus sur la reconstruction des victimes de traumatismes, comme 13 novembre, vivre avec qui accompagne des victimes des attentats de Paris, ou Enfance abusée qui donne la parole à 8 victimes de pédo-criminalité.
Ascoval n’est pas n’importe quelle aciérie, elle est aussi un symbole politique du quinquennat Macron, l’exemple même d’une industrie sacrifiée au nom de la mondialisation économique selon Bas Devos. Il explique : "Cette usine est presque neuve, elle s’inscrit dans le développement durable avec son four électrique de recyclage très peu émetteur de CO2. Les salariés sont hyper qualifiés. Et la France a besoin d’acier. Mais Vallourec, le groupe qui a crée l’usine il y a 40 ans, a décidé de produire son acier à moindre coût au Brésil. Et dans des conditions environnementales désastreuses. Fermer cette usine aurait donc été un exemple de plus de gâchis industriel. Et humain. Le combat des salariés d’Ascoval a été médiatisé et est devenu une épine dans le pied du quinquennat Macron. Pour la défendre tous les responsables politiques de la région ont fait une union sacrée, allant des communistes à la droite. Sous la pression, le gouvernement a fini par admettre qu’il vaudrait mieux aider Ascoval à survivre."
Faire accepter une caméra dans un milieu fermé est toujours délicat. Eric Guéret a donc passé beaucoup de temps sur place, avant le tournage, et a rencontré les personnes qu'il voulait filmer. Le réalisateur précise : "Les médias n’ont pas bonne réputation en général et cela m’oblige à beaucoup de pédagogie. D’où vient l’envie de les filmer, ce que cela pourrait raconter, comment. Et bien sûr, la liberté de chacun d’y participer ou pas. Dans le cas présent cela a été difficile car les salariés étaient à bout de force, épuisés par des années d’incertitudes. Et beaucoup pensaient que j’étais venu pour filmer leur mort. Alors que moi j’étais persuadé de filmer leur combat pour la vie. Certains ont eu envie de participer. D’autres pas du tout. C’est normal. Alors je me suis accroché à ceux qui m’ouvraient la porte. Ensuite il y a un moment très particulier ou le tournage bascule. J’ai remarqué cela souvent. Après la première phase d’explication, quand tout le monde me connait et que j’ai commencé à trouver ma place, un jour j’arrive et au lieu de me dire « vous faites quoi avec votre caméra ? » les salariés de disent « salut Eric, tu étais où ? Ca fait longtemps qu’on ne t’a pas vu ». C’est un moment magique. Le tournage en immersion peut vraiment commencer."