Je suis plutôt conquis par le dernier film de Claire Denis, réalisatrice dont j'apprécie beaucoup le travail. Et si j'apprécie ses films c'est avant tout parce qu'ils sont troubles, ils ne disent pas tout tout de suite, ils mettent du temps à se révéler, ce qui les rend troubles et ambigus. Et trouble et ambigu Stars at Noon l'est.
Le film met du temps à nous dire où nous sommes, et on ne sera jamais vraiment certain de qui sont ces personnages, pourquoi ils se retrouvent là et surtout ce qui se trame vraiment.
Au cœur de cette ambiguïté il y a la relation entre les deux personnages principaux, qui sont d'ailleurs superbement bien interprétés. Est-ce de la drague ? du racolage ? qu'est ce qui les motive réellement à rester ensemble ? l'argent ? le sexe ? l'amour ? un passe-temps ? Et cet amour qui semble se dessiner entre eux, est-il réellement réciproque ? Qui est vraiment ce mec ? Et c'est ça que je trouve riche dans le film, c'est qu'on n'a pas vraiment de réponse à toutes ces questions et pourtant on voit bien que quelque chose de louche se trame, mais qu'en même temps il semble y avoir un attachement sincère entre les deux.
J'aime ainsi beaucoup les scènes où Margaret Qualley va à chaque fois essayer de se comparer à la femme de son amant, à ce qu'il fait avec elle et pas avec sa femme. C'est tout bête mais ça dit quelque chose sur la relation qu'ils sont en train de construire et sur une petite forme de jalousie qui s'empare petit à petit de l'héroïne.
On est pas sur une romance banale, déjà parce qu'elle commence par de la prostitution, mais que déjà là on sent une attirance entre les deux, mais surtout on ne voit pas exactement quand est ce que cette relation tarifée se termine et quand est qu'ils restent ensemble parce qu'ils se plaisent. Il n'y a pas une grande scène avec une révélation, au contraire, Claire Denis le fait comprendre petit à petit, tout en jouant sur d'autres enjeux qui lorgnent plutôt vers le thriller.
Car l'histoire se passe dans un pays d'Amérique centrale, après plusieurs minutes on comprend au détour d'un dialogue qu'ils sont au Nicaragua et il y a des enjeux politiques et économiques autour d'une élection. Et comme l'héroïne le spectateur va rester dans le flou, jamais on ne va comprendre réellement ce qui se passe, on insinue des choses, on voit qu'il y a des intérêts contradictoires et en même temps ça nous dépasse totalement... L'histoire d'amour est tellement fusionnelle, intense, que comme pour l'héroïne tout ça nous semble finalement assez secondaire. Sauf qu'on remarque bien qu'il y a des trucs louches, des réactions étranges...
J'aime beaucoup comment le film parvient à se servir du trouble de la relation amoureuse pour petit à petit esquisser d'autres enjeux beaucoup plus grands.
Surtout qu'une sorte de thriller érotique dans un pays d'Amérique latine qui semble à rien de sombrer dans la guerre civile et tourné quasiment intégralement soit dans une chambre d'hôtel, soit dans un taxi, c'est pas banal.
Bref il se dégage quelque chose du film, une tendresse et une ambiguïté à tous les étages, ce qui en fait un film aussi touchant que troublant.