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    L'Abbé Pierre - Une vie de combats
    Anecdotes, potins, actus, voire secrets inavouables autour de "L'Abbé Pierre - Une vie de combats" et de son tournage !

    Naissance du projet

    Avec les producteurs, Frédéric Tellier réfléchissait à un sujet. Ils ont alors évoqué l’abbé Pierre, un sujet pouvant s'inscrire dans le prolongement des précédents films du réalisateur (L’Affaire SK1Sauver ou périr et Goliath). Il se rappelle : "Je ne cesse de m’interroger sur le sens du mal, et la force de la vie. Sur le conditionnement de nos vies. Pourquoi lui aura de la chance, et lui non. Pourquoi elle souffrira, et pas elle. La solitude, les injustices, sont-elles inchangeables ? Répare-t-on le mal qui nous frappe en pleine figure, ou le transforme-t-on ? Spontanément, des points « m'intéressent » chez l’abbé, au-delà évidemment de l’icône qu’il représente, à commencer par son côté révolutionnaire."

    "Et puis aussi des souvenirs d’enfance ont ressurgi chez moi : l’émotion avec laquelle un membre de ma famille m’avait raconté qu’il avait assisté à une conférence de l’abbé, par exemple. Mais tout ça ne suffit pas à faire un film. Alors avant d’écrire, je commence par lire tout ce que je trouve – livres, articles… - sur l’abbé."

    Cannes 2023

    L'Abbé Pierre - Une vie de combats a été présenté Hors Compétition au Festival de Cannes 2023.

    Trouver l'angle

    Trouver la colonne vertébrale du film a mis beaucoup de temps, au point d’inquiéter les producteurs à qui Frédéric Tellier explique n'avoir rien eu de concret à faire lire pendant presqu’un an. Il confie : "Car tout ce que je lisais relevait peu ou prou uniquement de l'hagiographie, voire de légendes écrites par l’abbé lui- même ou ses proches. Moi ce qui m’intéresse, ce qui intéresse les spectateurs je crois, c’est comment un être humain a pu accomplir tout ce que l’abbé a accompli ? Qu’est-ce qu’il s’est passé en lui ? Où est-ce qu’il a dérapé ? Est-ce qu’il s’est senti seul ? A-t-il eu peur ? A-t-il douté ? À quel moment s’est-il cassé la figure? Comment l’a-t-il vécu ? S’en est-il remis ? Je ne trouvais nulle part les réponses à ces questions."

    La rencontre avec Laurent Desmard (secrétaire particulier de l’abbé pendant 15 ans et président de la Fondation Abbé Pierre), que les producteurs ont présenté au réalisateur, a été décisive : "J’ai passé énormément de temps avec lui. Il m’a raconté des moments, des souvenirs qui ne sont pas dans la « littérature officielle » et qu’il n’avait, je crois, encore confiés à personne. Il m’a ouvert une malle incroyable de souvenirs, d’émotions, de complicités… Il m’a donné à voir et à com- prendre l’abbé Pierre intime, son mode de fonctionnement, ses origines. Et je commence à écrire en m’intéressant au parcours familial, aux échecs, aux doutes de l’abbé", se rappelle le metteur en scène. Il poursuit :

    "Je comprends ce qui a pu le mouvoir et je vois comment le cinéma va pouvoir trouver toute sa place dans le parcours de ce fils d’une famille aisée qui soudain va renoncer à tout en s’engageant dans les Capucins – un des ordres religieux les plus rigoureux -, presque comme une crise d'adolescence, sans avoir a priori le physique ou la capacité de résistance nécessaire. Les prémices d’un être exceptionnel qui va se faire recaler. Comme s’il s’était trompé de chemin. Et qui va se retrouver un peu en errance jusqu’à ce que la guerre, la résistance, puis la rencontre avec Lucie (Emmanuelle Bercot) et Georges (Michel Vuillermoz) changent la donne. La rencontre avec Georges constitue pour lui la rencontre frontale avec la misère."

    "Au moment des premières pages que je noircis, tout cela résonne en moi, et un début d’histoire me semble apparaître : l’abbé était un passionné. De la vie. De l’autre. Du lien social. Du lien affectif. Un ultrasensible pathologique. Une vie entière que personne ne connaissait vraiment, faite certes de bonté et de combats, mais aussi d’incroyables rebonds, de paradoxes troublants, de doutes permanents, d’usure, de transgressions ; un petit bonhomme fragile comme de la porcelaine, et indestructible à la fois, porté par une mission qu’il savait ne jamais pouvoir aboutir, et qui a traversé un siècle. Pour moi, il se dessinait là, tout à la fois la possibilité d’une épopée cinématographique, et celle d’explorer notre histoire sous un angle unique."

    Choix artistiques et représentation du froid

    Avec L'Abbé Pierre - Une vie de combatsFrédéric Tellier travaille pour la troisième fois avec le directeur de la photographie Renaud Chassaing. A partir de ses recherches, le cinéaste a construit un dossier artistique et a trouvé des exemples pour le guider : "Et c’est au fil de ces échanges qu’on décide d’utiliser tel ou tel outil, telle ou telle manière de cadrer, et là en l’occurrence notamment l’utilisation des lensbaby, des optiques photographiques particulières qu’on peut mettre sur une caméra et qui permettent de décentrer la profondeur de champ, le flou, autour du personnage central et donc par ricochet de donner une proximité avec lui. Cette utilisation – avec parcimonie – de la modification de la profondeur de champ permet de centrer l’attention sur le net et, en même temps étrangement d’être attiré par le flou."

    "On a aussi beaucoup travaillé pour créer un plug numérique pour pouvoir encore plus « creuser » l’image en post-production. Et puis, toujours pour cet aspect sensoriel, je me suis appuyé sur mes souvenirs avec mes grands-parents (que je remercie au générique) sur la sensation de froid permanente qu’ils avaient vécu dans ces hivers comme le fameux hiver 1954. Il était essentiel pour moi qu’on le ressente à l’écran. Avec Renaud nous avons donné un aspect à l’image qui pouvait aussi appeler cette sensation."

    Références visuelles

    Côté références visuelles sur L'Abbé Pierre - Une vie de combatsFrédéric Tellier cite principalement des photographes, comme Joel Meyerowitz, Philip-Lorca diCorcia, William Eggleston ou Raymond Depardon. Il précise : "On parle aussi souvent de peintres ou de peintures. Je lui parlais beaucoup d’une toile de Rembrandt magistrale quant à l’utilisation du clair-obscur. Aussi étrange que cela puisse paraître, quand on évoquait des films, il s’agissait de… westerns !"

    "J’avais envie de développer à certains moments ce type d’atmosphère-là, en particulier dans les scènes avec la bande de la Communauté d’Emmaüs. On a pas mal parlé par exemple de John Mccabe de Robert Altman…"

    Le choix Benjamin Lavernhe

    Frédéric Tellier retrouve Benjamin Lavernhe après L’Affaire SK1, centré sur la traque de Guy Georges. Pour jouer l’abbé Pierre, le cinéaste cherchait un acteur capable de créer du mimétisme tout en construisant une composition : "Et capable de jouer ces nombreux dialogues très en longueur car j’adore perdre les acteurs dans le vertige du texte. Je voulais aussi un acteur qui fasse tous les âges, donc plutôt quelqu’un de jeune qu’on allait ensuite vieillir à l’image. Enfin un acteur qui ne soit pas une star pour qu’il ne vampirise pas le personnage."

    "On a donc organisé plusieurs sessions de castings avec différents comédiens, dont Benjamin. On leur a fait jouer les discours de l’hiver 54 et du Palais des Congrès. Et d’emblée, j’ai été impressionné par la qualité immédiate et la justesse que proposait Benjamin et je percevais surtout à travers son énergie combien il avait envie du rôle. Et puis il le cachait, mais je voyais son trac, et j’aime cette preuve d’hu- milité. À partir de là, il a fallu jongler avec son emploi du temps à la Comédie-Française mais je suis tellement heureux qu’on y soit parvenu."

    Retrouvailles

    Le film met aussi en avant le personnage de Lucie Coutaz, qui fut la secrétaire de l’abbé Pierre, de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort. Un rôle que Frédéric Tellier a confié à Emmanuelle Bercot, qu'il retrouve après Goliath. La comédienne, qui a joué ce personnage sur 40 ans, se souvient : "J’ai pu m’appuyer sur la qualité du travail de prothèses et de maquillage. D’autant plus que les différents essais nécessaires permettent de rentrer peu à peu dans la peau du personnage, de travailler sur la posture, la voix. Mais je ne vais pas mentir, voir son visage vieilli reste quelque chose de vertigineux."

    "J’ai dû me regarder une seule fois dans une glace et encore de façon extrêmement fugitive. J’ai aussi travaillé avec une orthophoniste. Mais ce sont vraiment les costumes et le maquillage qui tiennent un rôle essentiel dans ce travail. Et ses cheveux aussi, qui étaient une vraie caractéristique de ce personnage."

    Visée idéologique du film

    Dans la dernière ligne droite du film, Frédéric Tellier a choisi d’intégrer des plans de SDF dans la rue d’aujourd’hui pour signifier que cette histoire reste malheureusement d’actualité. Le metteur en scène développe : "Et cela symbolise au fond ce qui m’intéressait le plus en me lançant dans ce projet. Le cinéma nous parle du monde. Les films nous émerveillent artistiquement, émotionnellement, et aussi nous poussent à réfléchir, à changer peut-être un peu notre regard. Je voulais avec ce film aussi parler du monde autour de nous, celui dans lequel nous vivons. Celui que nous pouvons améliorer un peu."

    "Au-delà de raconter le parcours d’un homme hors du commun, au-delà de proposer un film épique et spectaculaire, je voulais rappeler que la situation reste problématique. Pas pour faire un constat froid ou polémique, mais dire, que le combat continue, celui de l’amour et de la considération de l’autre ! Qu’il n’aura jamais de fin. Et que si on ne le mène pas, d’une certaine manière, on quitte un peu l’humanité. Pour moi, le sujet profond du film est celui du sens de la vie à travers la quête d’identité de l’abbé et d’un regard presque sociologique sur notre civilisation actuelle, son origine, son tumulte, ses perspectives."

    Autres acteurs ayant joué l'abbé Pierre

    Avant Benjamin Lavernhe, deux autres acteurs ont interprété l'abbé Pierre dans deux films de fiction : André Reybaz dans Les Chiffonniers d'Emmaüs de Robert Darène en 1954, et Lambert Wilson dans Hiver 54, l'abbé Pierre de Denis Amar en 1989.

    "Oublie l’obsession de la ressemblance !"

    Frédéric Tellier a tout de suite expliqué à Benjamin Lavernhe qu’il voulait le même acteur jeune et vieux pour ne pas perdre le fil. L'acteur confie : "Il y a donc un côté performance dans ce voyage, car il faut être crédible à 92 ans… Tout un trajet à faire incroyablement excitant, pour s’éloigner de moi : me baisser sur mes genoux, rentrer les épaules, un maquillage quotidien de 6 heures… Ça me rappelait les cours de jeu masqué du Conservatoire ! Et puis très vite, Frédéric me dit : « tu as la cape, le béret, la canne, les oreilles un peu décollées, ça suffit, la silhouette est là maintenant oublie l’obsession de la ressemblance et joue ». C’est comme un contrat qu’on passe avec le spectateur : Benjamin est l’abbé Pierre, ok c’est parti ?"

    "Il faut évoquer, trouver l’énergie, un geste, une attitude, un regard, passer par soi pour atteindre l’autre, c’est très mystérieux... On ressemble parfois plus à l’autre quand on ne cherche pas à lui ressembler. Je pense à Joaquin Phoenix jouant Johnny Cash ou Michel Bouquet, Mitterrand. Ils ne sont pas grimés. Il n’y a jamais chez eux cette obsession de ressemblance et pourtant on voit ces personnages. Pour devenir l’abbé Pierre, j’ai d’abord essayé de capter son débit, ce mélange de grande concentration et d’immense colère. Et puis, il y a la phase déterminante des premiers essais maquillage et des questions à résoudre. Qu’est-ce qu’on transforme ? Qu’est-ce qu’on garde de moi ? On a ainsi choisi de ne pas modifier mon nez."

    "Car si on voit l’artifice, c’est évidemment pire. Il ne faut pas voir la fabrication, l’effort de l’acteur qui chercherait à trop coller physiquement au personnage. Je suis persuadé que c’est en étant le plus possible connecté à soi-même et à sa propre humanité qu’on sert mieux l’autre."

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