Cet acronyme désigne le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception. Il a été fondé en 1973 par des médecins militant·es et des féministes, en réaction aux centaines de décès provoqués par des avortements clandestins. À cette époque, les principales méthodes de contraception restaient le retrait et Ogino (période d’abstinence sexuelle pendant la période de fécondité de la femme). Le MLAC réclamait la diffusion d’une information sexuelle, la liberté de la contraception et de l’avortement. Allant à l'encontre de la loi, les bénévoles ont pratiqué pendant près de 18 mois à travers la France des avortements grâce à la méthode Karman, qui consiste à aspirer le contenu de l’utérus à l’aide d’une canule. L’association organisait aussi des voyages pour avorter à l’étranger pour celles qui avaient dépassé 8 semaines de grossesse. Face à l’ampleur du mouvement, le gouvernement n’a eu d’autre choix que de faire voter la loi pour la légalisation de l’avortement en 1975.
Avec Annie Colère, Blandine Lenoir souhaitait mettre en avant l'histoire du MLAC, dont elle n'a elle-même découvert l'existence qu'il y a une dizaine d'années. "Le MLAC a contribué de manière décisive au changement de la loi sur l’avortement, mais il a été invisibilisé. On apprend le roman national avec les « grands hommes », en l’occurrence ici une « grande femme » : tout le monde connait le combat héroïque de Simone Veil, mais on a oublié les militant·e·s qui ont poussé Giscard d’Estaing à modifier la loi."
Il existe des documentaires français sur l'avortement comme Regarde, elle a les yeux grands ouverts, qui est un travail collectif des membres du MLAC d’Aix avec Yann Le Masson, et Histoires d’A de Charles Belmont et Marielle Issartel, militant pour la libéralisation de l'avortement et de la contraception. Mais le fonctionnement du mouvement et son histoire n'avaient pas été mis en images. La réalisatrice affirme : "Le récit historique est un rapport de force, il y a un récit manquant, un récit à renouveler. L’histoire du MLAC fait partie de l’histoire politique de la France. Avec ce film, je veux rendre grâce à ces femmes qui ont lutté pour notre liberté, qu’on se souvienne que les lois s’arrachent de haute lutte !"
La réalisatrice s'est basée sur la thèse de 800 pages sur le MLAC effectuée par une jeune chercheuse, Lucile Ruault. Pendant cinq ans, celle-ci a rencontré des médecins et des militant·e·s. Ce texte a été le premier matériau pour Blandine Lenoir et sa co-scénariste, Axelle Ropert.
Parmi les nombreux éléments qu'elle avait et les différents angles qui se proposaient à elle pour aborder un tel sujet, Blandine Lenoir a choisi de se focaliser sur ce qui la passionnait le plus : des femmes ordinaires qui devenaient militantes grâce à un événement intime, et non pas par théorie politique. "La lutte les a réunies, d’où qu’elles viennent, ouvrières et bourgeoises, médecins et non-médecins, créant une « classe de femmes », toutes à égalité dans le combat pour la liberté. Mais ce que je trouvais le plus fort, c’est la façon dont cette lutte a transformé les femmes : c’est comme ça que je suis arrivée au personnage d’Annie.
Annie, c’est une femme ordinaire et exemplaire, habituée à être soumise à une autorité : d’abord celle de son père, puis de son patron, puis de son mari, et qui file doux. Et tout à coup grâce à cette lutte, elle se découvre une force, une puissance qu’elle ne soupçonnait pas du tout."
Blandine Lenoir a tout de suite pensé à Laure Calamy pour jouer Annie Colère. Elle la connaît depuis une dizaine d'années et l'a dirigée dans ses deux films précédents, Zouzou et Aurore. "Elle a quelque chose d’aussi extraordinaire qu’ordinaire – je voulais que ce soit Madame Tout le monde, quelqu’un à laquelle on puisse s’identifier très facilement. Laure est une grande actrice de l’émotion et on ne l’a pas vue tant que ça dans cette partition-là. Et puis, c’est une actrice qui a un corps – c’est à dire qu’elle a un corps qui existe, énergique, rond et sensuel, et elle n’a pas peur de s’en servir, de jouer avec. Laure est passionnante."
La réalisatrice tenait à se distinguer de la représentation habituelle des avortements dans les fictions. Elle voulait éviter le glauque et le tragique et montrer cette pratique comme un soulagement. "Mon envie était de représenter l’avortement autrement, arrêter de stigmatiser les femmes qui avortent. [...] Je voulais absolument montrer la tendresse qui existait pendant ces avortements – comment on se parle, comment on se regarde, comment on se touche dans un moment pareil." Elle ne voulait pas non plus montrer des images chocs : "ça n’aurait pas été réaliste : c’était des avortements très propres, il n’y avait pas de sang."
Au générique d'Annie Colère, on retrouve Rosemary Standley, chanteuse du groupe Moriarty. Elle chante justement durant une scène d'avortement pour accompagner avec bienveillance le personnage d'Annie. "Elle me bouleverse par sa voix, son visage, son regard... j’avais vraiment envie de la filmer, de la faire rentrer dans mon univers", raconte la réalisatrice.
Les anciennes membres du MLAC ont enseigné très précisément à Blandine Lenoir tous les gestes de la méthode Karman. Le casting a lui aussi répété ces gestes pour les reproduire pendant le tournage. Elle détaille : "On avait un système, un petit matelas qui était installé sous les fesses des actrices avec un trou dans lequel on introduisait les canules, les bougies, etc. C’était très impressionnant, très réaliste. Ainsi, l’avortement était mis en scène dans toute sa durée, les actrices très occupées par leurs gestes précis, concentrées, qu’elles ont fini par connaître parfaitement."
On voit dans le film une archive télévisée d'une intervention de l'actrice Delphine Seyrig où elle débat de l'avortement face à des hommes. La réalisatrice a choisi d'utiliser cette vidéo pour plusieurs raisons. Tout d'abord pour inscrire dans le temps du film (qui se déroule sur un an) le temps historique, rappeler que l’avortement était un sujet dont on parlait quotidiennement dans les médias. Il s'agissait également de rendre hommage à Seyrig, pour ses films et son rôle décisif dans la lutte. C’est chez elle, place des Vosges qu’a eu lieu en 1972 la première démonstration en France de la méthode par aspiration, dite « Karman ».
Blandine Lenoir revient sur la colère qui habite son héroïne, qui est aussi la sienne : "Le MLAC militait pour le droit à l’avortement, mais aussi pour l’éducation à la sexualité. Finalement avec la loi Veil, il ne reste plus que l’aspect médico-juridique, l’objectif féministe de la prise en main des femmes de leurs corps a échoué. Le cadre convivial, la transmission des savoirs, le climat d’égalité et de tendresse, l’éducation avec le miroir, etc, tout cela a disparu." La réalisatrice se dit en colère contre "les gynécologues qui donnent des contraceptifs aux femmes sans leur parler de leurs corps" ; contre le fait qu'on impose le silence et la discrétion aux femmes quant à leurs règles, leurs fausses couches et leurs avortements ; et en colère de l'accueil qui est réservé aux femmes qui souhaitent avorter.