Lucas Delangle est né dans un petit village de la Sarthe, où il y avait beaucoup de magnétiseurs et où son père était médecin généraliste. Le metteur en scène se rappelle : "Il connaissait beaucoup de magnétiseurs. Lui était très cartésien et n’y croyait pas du tout."
"Quand j’étais enfant, il me racontait leurs histoires. Je m’ennuyais beaucoup dans ce bled, petit, et ces histoires me fascinaient, comme s’il pouvait arriver quelque chose d’extraordinaire ou de magique. Je m’y suis intéressé et j’ai commencé à rencontrer des gens, sans savoir que j’allais réaliser un film."
"J’ai croisé une dame qui entrainait son don au contact d’un maître. Je n’arrivais pas trop à saisir pourquoi elle était tellement intéressée par le magnétisme… Et puis, au bout d’un moment, j’ai compris que son fils était gravement malade. Mais lui, le fils, n’y croyait pas."
"Et pour les magnétiseurs, ça ne peut pas marcher si le patient n’y croit pas. Du coup, elle me disait : 'Je veux être prête si un jour il change d’avis'. Il y avait une espérance avec laquelle je pouvais faire du cinéma. Cet espoir et la part invisible du magnétisme, c’était un terrain de cinéma parfait."
Dans le film précédent de Lucas Delangle, le court-métrage documentaire Du rouge au front, le réalisateur développait déjà la thématique de la relation mère-fils. Il explique : "Les dons des magnétiseurs se transmettent souvent de pères en filles et de mères en fils."
"Je voulais garder ce lien. Edwige Blondiau, qui joue Gisèle, la grand-mère de Jacky, était dans ce documentaire et m’a tellement plu que j’avais envie de refaire un film avec elle. Je voulais lui donner un rôle de grande guérisseuse très respectée."
"Elle a un côté très terrien, avec son accent, sa gouaille du Nord. Ça me plaisait de la plonger dans une fiction faite avec les gens du territoire, où je mélange les acteurs et ceux qui n’en sont pas. Je trouvais intéressant de la mettre dans un décor de château, d’en faire une figure tutélaire."
"Je voulais lui donner un écrin, qui est loin de sa réalité, et parait riche, bourgeois… Elle regarde des tableaux qu’on pourrait croire ses ancêtres comme si c’était une grande famille de magnétiseurs. Il fallait établir un contre-point avec la première impression qu’elle donne."
Pour représenter la thématique de la magie et du magnétisme, Lucas Delangle a eu recours à de nombreux gros plans sur les mains, les visages (celui qui est magnétisé et celui qui magnétise) et l’air qui existe entre les mains et le corps. Il raconte :
"Par exemple, il y a un travelling sur les mains de Jacky qui s’approchent du dos d’Elsa où l’on sent la distance : quand on arrive sur elle, son dos se raidit. L’idée était de passer toujours par le corps, de ne pas appuyer l’action par des sons ou des effets spéciaux, mais plutôt par des choses très simples comme l’ombre des mains de Jacky sur le dos d’Elsa. Ce sont ces motifs visuels qui créent la magie."
Lucas Delangle a situé l’action de Jacky Caillou dans une région montagneuse des Alpes de Haute-Provence. Le metteur en scène a passé beaucoup de temps à s'y balader et s'est rendu compte qu'il avait écrit la toute première scène à 50 km de l’endroit du tournage, en 2017 :
"J’étais chez un ami en vacances et j’écrivais là-bas. Il y avait donc, peut-être, l’imaginaire de cette montagne-là, particulière, dans mon scénario. Sans m’en rendre compte, je la cherchais. J’ai donc fait des tours en voitures…", se souvient-il, en poursuivant :
"Je cherchais plusieurs choses : un village qui puisse être vu depuis les hauteurs (pour une séquence importante du film…), et une combinaison architecturale pas facile à trouver. Il y a souvent beaucoup de maisons provençales avec des toits en tuiles."
"Elles sont difficiles à filmer car visuellement homogènes, tout comme les chalets qu’on trouve plus haut. Dans les Alpes de Haute-Provence, c’est un entre-deux, composé de bric et de broc. Il y a des maisons plutôt provençales, d’autres qui font plutôt chalets, et encore beaucoup de toits en tôle."
"Là où j’ai tourné, il y avait des maisons peintes parce que des Italiens y venaient en vacances et ramenaient de la peinture. Ils avaient donc ces façades de couleurs vives, assez rares. Ce mélange, sans trop de rénovation, était important pour moi. Tout comme la diversité des paysages."
"Dans ce coin, il y a des espaces désertiques, pierreux, abrutes, et aussi beaucoup de forêts. Je m’y suis baladé et j’ai surtout parlé aux gens en leur demandant conseil. Et la maison de Jacky est juste à côté ! À l’exception de l’hôpital, tout le périmètre du film est compris dans un périmètre de 30 km."
Lucas Delangle voulait travailler avec des gens qui n’avaient jamais joué et étaient vraiment éleveurs. Le réalisateur a alors fait un casting : "Je les ai trouvés, l’un au bar, l’autre copain de copain… En y passant beaucoup de temps. En revanche, l’acteur qui incarne Mathieu, le policier rural, c’est Romain Laguna, (réalisateur du film Les Météorites sur lequel Lucas Delangle était scripte). Ce flic, en permanence dépassé par la situation, au bord de la crise de nerfs, lui correspondait bien."
Jacky Caillou a été présenté à l'ACID au Festival de Cannes 2022.
Lucas Delangle a trouvé l’interprète de Jacky, Thomas Parigi (dont c’est le premier rôle) à Marseille. En se baladant dans la rue, le metteur en scène regardait les gens en se disant : « Est-ce que ça ne peut pas être lui ? ». Il se rappelle :
"Et puis, je suis allé dans un bar, un peu dépité. Il y avait un concert et Thomas [Parigi] arrivait pour jouer de la musique, mais rapidement tout le monde est sorti du bar pour discuter dehors et boire des coups. Il a donc fait son concert un peu seul."
"Je suis allé le voir à la fin et l’ai félicité. Il m’a dit « Tu parles, j’ai tout raté, c’est la première fois que je joue en public, je me suis embrouillé… ». Je me suis dit que ça, c’était très « Jacky ». Du coup, je ne l’ai pas lâché."
"Je lui ai expliqué que je préparais un film, que je faisais passer des essais à des gens qui ne jouaient pas habituellement. Il a fini par venir, j’ai senti qu’il en avait envie. Quand on a fait les premiers essais, il avait quelque chose du personnage : de maladroit, de très doux et d’assez rêveur."
Le film se déroule sur fond de chasse au loup : "Je tournais avec de vrais éleveurs à qui j’ai dû raconter le scénario, dans un village où, quand on arrive en bagnole, il y a des tags « Loup stop ! », « Mort au loup ! ». C’est très important pour eux. C’est un sujet de conversation qui peut facilement dégénérer."
"Donc il fallait réussir à parler du film avec eux, qui ont des points de vue très tranchés. Les éleveurs souffrent beaucoup des attaques de loup. Ils n’en sont pas à faire des battues, mais ils ont l’impression que la situation est injuste et qu’on laisse le loup se multiplier dans les territoires peu peuplés."
"Avec les troupeaux, on a tourné des scènes documentaires qui appuient la fiction. Dans le film, il y a trois-quatre brebis mortes, tuées par le loup dans le pré. Simultanément, dans le village, à l’occasion de la transhumance, il y avait 1500 brebis qui traversaient la montagne."
"Ce fut l’occasion de créer un effet de masse : on ne voit que trois cadavres à l’écran, mais en voyant des centaines de bêtes vivantes, on a l’impression d’un plus grand massacre. La scène finale, que j’aime beaucoup, repose également sur l’implication des habitants."
"Tous ces gens, réunis aux urgences, sont dans l’attente. Nous avons fait des plans de quelques minutes sur chacun d’eux, silencieux, le regard un peu perdu… Je me suis posé beaucoup de questions sur la manière de capter le regard de quelqu’un qui attend depuis dix heures à l’hôpital."