Au début de l’été 2016, Hind Meddeb s'est régulièrement rendue, en compagnie du co-réalisateur Thim Naccache, sur les campements de réfugiés autour du métro Stalingrad et du jardin d’Eole à Paris. La cinéaste se rappelle : "J’engage la conversation avec ceux que je rencontre. Ma maîtrise de l’arabe facilite les échanges. Avant de pouvoir filmer sur le campement, Thim et moi avons passé des journées entières sur place à discuter avec les gens, à leur expliquer le désir que nous avions de faire ce film, de partager avec d’autres les moments que nous avions passés à leurs côtés. Enfin, nous avons commencé à filmer auprès de ceux qui comprenaient notre démarche."
Paris Stalingrad est à l’image de ce que Hind Meddeb et Thim Naccache ont essayé de faire sur le campement de Stalingrad : prendre le temps de la rencontre, puis en garder une trace et finalement alerter de la situation. Elle explique : "Ce tournage s’inscrit dans la continuité d’une approche que je poursuis depuis plusieurs années dans mes documentaires et par laquelle je veux prendre le temps de la rencontre. Je suis avec ceux que je filme, dans une relation de proximité, il devient alors possible de recueillir des paroles sans filtre qui me sont données avec confiance."
Hind Meddeb et Thim Naccache ont rencontré Souleymane un soir de pluie à la fin du mois d’août 2016 sur le campement de Stalingrad. Ce dernier leur a demandé de l’aider à faire les photos d’identité exigées par la Préfecture, pour ouvrir son dossier de demande d’asile. La cinéaste se souvient : "C’est d’abord la langue qui nous rapproche. Nous communiquons sans avoir besoin d’un interprète. Dans nos discussions, quand il est en colère contre les injustices qui frappent les exilés, Souleymane convoque le passé colonial de la France : « Tout ce que tu vois ici, c’est le peuple d’Afrique qui l’a construit. Qui a creusé cette terre ? Ceux qui viennent d’Afrique. »"
L’équilibre de Paris Stalingrad se construit autour de trois types de séquences. Les séquences de cinéma direct, d’errance dans la ville (avec Souleymane) et l’intervention ponctuelle d’une voix off qui articule le récit. "Une voix que j’ai voulue discrète, en retrait, qui donne les informations manquantes à l’image pour comprendre la scène qui se déroule sous nos yeux. Une voix à la première personne pour rappeler que le film est tourné de mon point de vue. Cette voix, je l’ai tissée en dialogue avec les images, en prenant soin de ne pas trop en dire. Les scènes de cinéma direct nous plongent dans l’âpreté du quotidien des exilés. Et enfin, les poèmes ouvrent sur des moments d’introspection et de rêverie", précise Hind Meddeb.
Hind Meddeb et Thim Naccache ont, autant que possible, cherché à privilégier la conversation à l’interview, pour préserver une certaine spontanéité dans les échanges. "Dans le montage, j’ai souvent fait le choix de laisser entendre mes questions, de ne pas effacer ma voix qui les pose, car c’est une manière de rappeler ma présence au spectateur et de montrer la relation personnelle que j’entretiens avec ceux que je filme", confie la première.
Hind Meddeb et Thim Naccache ayant un sentiment de révolte face aux divers types de violences infligées aux migrants, les réalisateurs ont cherché à concevoir un film engagé, pour documenter et alerter. La première note néanmoins : "Mais au fil du montage, il est apparu naturellement que le plus puissant contrepoint au sort indigne que les exilés subissent continuellement, c’est la force de vie qui les habite, l’extrême lucidité de leurs analyses et la finesse intellectuelle et poétique de leurs écrits.Finalement, la brutalité policière et la violence administrative sont à mon sens renvoyées dans ce film au rang de décor et non de sujet ; le sujet réel de ce film, ce sont les personnes qu’il prend pour personnages."