La Place d'une autre est librement adapté de "The New Magdalen" de Wilkie Collins, célèbre pour avoir écrit des "romans à sensation", précurseurs du roman policier et à suspense. Le réalisatrice Aurélia Georges explique : "Wilkie Collins est très brillant dans l’art du récit et la première chose qui m’a marquée en commençant à lire, c’était le plaisir de lecture qu’il me procurait. Le livre fonctionne vraiment comme un feuilleton littéraire, avec des tas de rebondissements et de cliffhangers. Ce n’est pas du tout ma littérature de chevet mais je tournais les pages, happée par son sens du suspense. Avec ma co-scénariste Maud Ameline, nous avons voulu conserver ce suspense et cette tension. Je voulais du romanesque."
Dans le roman, le personnage de Rose est antipathique. Nélie, en revanche, est la figure victorienne de la pauvre orpheline au grand cœur. Pour le film, Aurélia Georges et Maud Ameline ont fait en sorte que leur opposition soit plus complexe : "Que l’on puisse ressentir de l’empathie pour Rose malgré sa violence grandissante, comme pour Nélie malgré son acte d’usurpation d’identité", précise la cinéaste.
La Place d'une autre est aux confins de plusieurs genres : le film d’époque, le drame social, le thriller, le drame sentimental et même le fantastique. Aurélia Georges note : "Ce croisement des genres est vivifiant pour un film qui nous plonge dans l’intériorité d’un personnage. J’avais envie d’enrichir ce côté intérieur, le rehausser par des gestes ou figures relevant du film social ou du suspense. Je trouvais séduisante l’idée de faire un film qui traite de questions morales sous l’angle du suspense : qu’est-ce que la place qui nous est assignée ? la question du mérite est-elle importante ? que signifie de mentir à ceux qui nous aiment et qu’on aime ? est-ce qu’on peut écraser l’autre pour se sauver soi-même ? qu’est-ce que la dignité ?"
La place d’une autre se passe en 1914 mais sa dimension sociale reste très contemporaine (c'est même l'une des raisons qui a poussé Aurélia Georges à adapter ce roman). La réalisatrice avait même pensé à en faire une adaptation contemporaine : "Mais placer l’histoire à l’heure d’internet et des réseaux sociaux aurait trop technicisé la question de l’usurpation d’identité, qui n’était pas l’enjeu de mon film. Surtout, je n’avais pas envie que La Place d’une autre soit un miroir de la société actuelle. Il parle de notre monde, mais par le détour d’un récit en costumes."
Aurélia Georges a cherché à faire en sorte que la reconstitution historique du film soit allusive. Au début du 20ème siècle, l’éclairage n’était que rarement électrique et la cinéaste voulait jouer sur les noirs pour créer une atmosphère inquiétante. Elle développe : "Je voulais aussi faire ressortir de belles couleurs saturées, notamment pour les robes et les murs de la maison d’Eléonore : du violet, du jaune, du bleu... La mise en scène reste sobre mais sous l’influence de Jacques Girault, mon chef opérateur, j’ai fait plus de mouvements de caméra et découpé davantage que d’habitude."
Pour jouer Nélie, Aurélia Georges a choisi Lyna Khoudri. C’est son rôle dans Papicha qui a donné envie à la cinéaste de la rencontrer. Elle raconte : "Je voulais rendre visible la part mélodramatique du film et j’aime la capacité de Lyna à faire surgir l’émotion. J’aime aussi son impassibilité, tout n’est pas lisible sur son visage, ce qui le rend d’autant plus riche. Il fallait quelqu’un qu’on ait envie de regarder en se demandant ce qui se passe derrière. Sa voix a ce mélange d’enfance et de dureté qui l’éloigne de toute mièvrerie. Et ce choix apporte quelque chose de moderne."
Maud Wyler, quant à elle, était l'un des premiers choix d'Aurélia Georges pour jouer Rose. "Rose est une jeune bourgeoise mal dégrossie qui se retrouve complètement modifiée par l’épreuve qui lui arrive. Elle devient un personnage agressif, un peu terrorisant, possiblement enragé, mais qui doit le cacher. Tout cela est complexe à jouer mais Maud a trouvé aussitôt la bonne note, sachant incarner ce côté pas aimable du personnage sans pour autant qu’on le déteste tout le temps, ni pour toujours. C’était vraiment primordial pour moi que l’on puisse ressentir de l’empathie envers Rose", explique la cinéaste.
La scène finale du film est a été inventée, le roman se terminant de manière plus allusive. Aurélia Georges voulait faire sentir au spectateur la cruauté de tous ces destins, mais sans pour autant que la noirceur prenne le pas : "Je voulais postuler que tout est possible. Dans cette histoire, tout le monde est dévié de sa route, même Eléonore, à l’âge qu’elle a, qui croyait avoir tout verrouillé avec ses règles du jeu, son habitude à tout diriger. Grâce à Nélie, son imagination et son horizon s’élargissent et elle finit par accepter d’être dirigée par son cœur", explique la réalisatrice.