Henrika Kull évoque avec Seule la joie une histoire d’amour entre deux femmes "qui ne croient pas – ou plus – à l’amour. Ce qui m’intéresse, ce sont les asymétries de pouvoir – particulièrement dans le contexte du capitalisme – et comment elles peuvent affecter les relations. [...] L’acharnement de ces deux femmes pour réussir à conserver un lien toujours plus intense est le sujet central de cette histoire."
En 2010, un travail de recherche a amené Henrika Kull à se rendre pour la première fois dans une maison close : "Je souhaitais comprendre comment fonctionne cet endroit. Comment les femmes qui y travaillent appréhendent la féminité ? Comment se comportent-elles entre elles ? Comment se comportent-elles avec leurs clients ?" Au fil des ans, elle a poursuivi ses recherches dans différentes maisons closes en travaillant en tant que barmaid ou en assistant la maquerelle. Elle a ainsi pu discuter aussi bien avec des travailleuses du sexe que des clients. Elle a remarqué que la majorité des femmes étaient très indépendantes : "J’ai réalisé qu’elles voyaient ce travail comme un moyen de se faire plus d’argent que dans d’autres choix de carrières. Elles ont appris à anticiper, à éviter, et à faire face aux attaques. J’ai toujours perçu ces femmes comme des personnes actives qui se fixent leurs propres limites."
La réalisatrice voulait raconter une histoire d’amour fictive qui naît dans un endroit où l’amour devient une marchandise. Elle est retournée dans une maison close où elle avait entrepris des recherches et dont elle connaissait bien les femmes qui y travaillaient. Elle les a fait participer au film en leur faisant jouer leur propre rôle sur leur lieu de travail tout en intégrant à cet environnement des acteurs jouant des personnages fictifs. "Nous avons passé beaucoup de temps dans ce lieu, avec ou sans caméra, ce qui était parfois problématique puisque notre présence a naturellement perturbé leur façon de travailler et que certaines femmes ne souhaitaient pas apparaître à la caméra. Néanmoins, cette approche a permis aux acteurs de devenir de plus en plus familier avec ce lieu de tournage et, petit à petit, les travailleuses du sexe ont cessé de nous percevoir comme des étrangers."
La réalisatrice voulait éviter de porter un regard voyeuriste ou dégradant sur les travailleuses du sexe, qui sont souvent stigmatisées. Elle tenait également à montrer qu'une maison close n'est qu'un lieu de travail comme un autre. "Je me suis toujours demandé si exercer ce métier pouvait être un choix individuel et autonome. Mais il est encore plus intéressant de se demander s’il existe un travail qui le soit dans notre société capitaliste." Selon Henrika Kull, utiliser son corps comme une marchandise et en tirer profit permet de s'émanciper de l'exploitation de la société patriarcale. "Dans cette société où l’oppression systémique et l’instrumentalisation du corps des femmes perdurent depuis des siècles, le travail du sexe représente quelque chose de subversif selon moi. Recevoir de l’argent contre un service sexuel semble être une réaction logique et honnête dans la société dans laquelle on vit."