Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020.
Nicolas Maury s’est inspiré d’une passion dévorante qu’il a vécu adolescent, alors qu’il venait de débarquer à Paris de son Limousin natal. Une passion accompagnée d’une jalousie envahissante : “Je crois que la jalousie est un puissant déchiffreur du monde, au sens où elle incite à vouloir avoir raison de ce qu’on imagine. Et le drame, si j’ose dire, c’est que le jaloux n’a pas forcément tort. Il se fait un film dans la tête et le truc de dingue c’est que très souvent le film a raison. La jalousie c’est comme un acouphène, un bruit de fond que l’on est le seul à percevoir et qui à force de ressassement douloureux donne parfois envie de disparaître”. Sa propre mère vivait dans cette inquiétude et l’en a imprégné, au point qu’il raconte avoir deviné à l’âge de 9 ans que son père avait une maîtresse.
Nicolas Maury a envisagé beaucoup d’acteurs pour incarner le premier rôle de Garçon Chiffon mais aucun ne convenait, non pas parce qu’ils manquaient de talent ou par problème de ressemblance ou de dissemblance. “En fait, mes hésitations masquaient un désir un peu honteux et prétentieux. Il fallait que je me vois. Je voulais être regardé là où je ne suis pas regardable. À la fois comique, fantaisiste, et tragique jusqu’au pathétique puisque évidemment il y a du grotesque dans le drame” explique-t-il.
À l’instar de Dix Pour Cent où Nicolas Maury incarne un agent d’acteur, Garçon Chiffon se déroule dans le monde du cinéma, avec lequel le réalisateur et comédien n’est pas tendre : “C’est strictement du vécu. [...] Des coups de couteaux qui prétendent être des caresses, c’est ça le cinéma”.
Le personnage de Jérémie répète le texte de L’Éveil du printemps de Frank Wedekind, que Nicolas Maury connaît bien puisqu’il l’a joué au théâtre et en garde un souvenir intense : “j’avais l’impression en jouant d’être dans un état d’auto-hypnose quasi permanent : devant moi, à côté de moi et cependant hyper présent”.
.C’est sur le plateau de Dix Pour Cent que Nicolas Maury a rencontré Nathalie Baye : “Elle m’avait conseillé de laisser du temps au temps. Quand le temps fut venu, ce fut une rencontre absolue et alchimique. Nathalie Baye comprend tout, avec cœur et courage”. Son personnage est aussi important que celui du héros, si bien que le film aurait pu s'appeler Vers Bernadette, de l'aveu de Maury : « il n’est pas tant le portait de la mère d’un jeune homme homosexuel, qu’une enquête existentielle sur une femme inattendue qui a tracé son destin, vit sa vie dans un village du Limousin entre ses gîtes et ses abécédaires au point de croix, mais qui a aussi défriché un chemin broussailleux pour atteindre l’identité imprenable de son fils ».
L’actrice fait une apparition fugace dans Garçon Chiffon, au moment où Jérémie sort d’une séance de Noce Blanche de Jean-Claude Brisseau. Ce n’est pas tant son propre rôle qu’elle joue mais plutôt “un fantasme incarné, une femme qui paraît et disparaît, un fantôme, mais un fantôme du réel qui considère la souffrance affichée de Jérémie comme elle doit l’être: à distance et avec une sorte d’humour. Évidemment, je bénis Isabelle Huppert et sa magie d’être venues en corps et en esprit habiter mon film”.
Garçon Chiffon débute comme une comédie avant de glisser vers plusieurs registres et de s'éloigner du réalisme, notamment lors de la séquence des nonnes : « La surréalité pour moi est une des nombreuses formes du réel », explique Nicolas Maury. « Les bonnes sœurs que Jérémie appelle des mères sont des réparatrices qui ne mâchent pas leurs mots, traitant Jérémie d’enfant capricieux qui s’accroche, mais capables aussi de lui offrir un élixir à base de houx qui est comme une potion magique pour qu’il guérisse de sa jalousie ».
Nicolas Maury répond avec véhémence à ceux qui oseraient cataloguer son film en raison de l'homosexualité du héros : « Alors là, je pourrais me mettre en colère. La case pédé ne me satisfait pas du tout et me donne même envie de fuir. C’est une réduction étouffante et liberticide. Film de femmes, film de pédés, quelle mésintelligence de la singularité et de la complexité ! […] Quelle tristesse ce serait d’être une seule chose à la fois. Ce qui m’intéresse, c’est l’hétérogène ».