Emmanuel Marre et Julie Lecoustre avaient déjà travaillé ensemble sur un moyen métrage du premier, D’un château l’autre. Emmanuel a commencé à écrire Rien à foutre et Julie l'a rejoint en novembre 2018 : "En termes de production, notre souci était de ne pas se faire avaler par la lourdeur d’une production, rester dans une forme d’artisanat, de bricolage. Comment, dans un changement d’échelle, garder cet état d’esprit tout en étant ambitieux ? Cela supposait de mettre à distance l’objet scénario, de ne pas le sacraliser, de l’utiliser comme une partition", se rappelle Julie, qui poursuit :
"Il était toujours clair, même dans les notes d’intention, qu’il devait être un guide, un fil rouge, mais pas quelque chose de figé. Que le film ne serait pas la simple restitution du scénario. On ne sacralise pas l’inverse non plus : il y a aussi des scènes très écrites, des moments où l’on suit vraiment le scénario. Mais nous sommes plus attachés à l’idée d’écriture que de scénario."
Rien à foutre est né d’une double image. La première, lorsqu'Emmanuel Marre s'est retrouvé sur un vol Ryanair au premier rang, juste en face d'une hôtesse. Au décollage, le metteur en scène a remarqué qu'elle allait très mal. Il se rappelle :
"Et puis, il y a eu le « ding », elle a décroché sa ceinture et là, seconde image, elle a arboré un immense sourire et a commencé à sortir le chariot des boissons, proposer des trucs à vendre... La dichotomie entre ces deux images, ce moment d’introspection et cette agitation professionnelle, était puissante et amenait une question : qu’a-t-elle laissé au sol, cette jeune femme, avant de s’envoler ? Plus tard, j’ai repensé à cette scène et à un tableau de Hopper, L’Ouvreuse, et j’ai eu envie de déplier cette double image."
Au départ, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre voulaient confier le rôle de Cassandre à une véritable hôtesse de l’air (les cinéastes ont d'ailleurs financé le film comme cela) : "Mais j’avais quand même Adèle dans un coin de la tête, et quand on s’est décidés à la rencontrer, on a senti dès le premier rendez-vous que quelque chose résonnait avec elle. D’abord, on voit tout de suite que ce n’est pas la même fille que l’on voit dans les magazines. Et puis sa mélancolie, l’espèce de détresse qu’elle dégage, sa capacité à vriller tout à coup pour s’éteindre l’instant d’après, tout cela nous a convaincus qu’elle pouvait être Cassandre", précisent-t-ils.
Avec Rien à foutre, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre voulaient construire un film autour d'un personnage qui s’évertue à faire diversion par rapport à la perte d’un être cher, mais qui finit par y faire face :
"La société nous donne une multitude de moyens de faire diversion par rapport à ce qui nous anime. Et tout ça est mis de côté quand elle arrive en Belgique. Là, elle passe de ce quotidien très elliptique, où on ne sait pas s’il s’est passé trois heures, trois jours ou trois mois entre deux scènes, à la sensation du temps qui coule avec fluidité, bien rythmé entre le jour et la nuit. Et puis le film devient plus lent."
Le tournage de Rien à foutre a été éclaté en plusieurs blocs pour plusieurs raisons, à commencer par le premier confinement. Adèle Exarchopoulos se souvient : "Et quand on tournait, on prenait beaucoup de temps, souvent sans être hyper productif. Mais paradoxalement, on était aussi beaucoup dans l’urgence. Se passer d’autorisation pour filmer, ne pas avoir de plan de travail, ne pas savoir à l’avance, tout simplement, ce qu’on va tourner et avec qui, tout ça oblige à être pleinement dans le présent, dans l’urgence. Tourner dans un avion en vol, ça suppose un temps court, délimité, et pendant ce laps de temps il fallait capter quelque chose. Tout le film est un saut dans le vide, et pour sauter dans le vide il faut faire confiance."
Le film a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2021.
Les réalisateurs ont tourné en toute petite équipe, avec un casting composé d’amis, de comédiens professionnels et, pour tous les personnages filmés en lien avec le monde du low-cost, de personnes dont c’est le métier. Julie Lecoustre explique :
"En fait ça n’a pas vraiment de sens de parler d’acteurs non-professionnels. Dans Rien à foutre, ce sont tous des interprètes, qui savent très bien qu’ils jouent un rôle, la seule différence étant qu’ils ont par ailleurs un métier. Et sur le tournage, professionnel ou non, tout le monde est sur un pied d’égalité."
Emmanuel Marre et Julie Lecoustre ont rencontré plusieurs personnes travaillant pour les compagnies low-cost. Malgré les conditions de travail et la rémunération misérable, il s'agit d'un métier qui fait toujours rêver et les candidatures ne manquent pas. Ils précisent :
"On a appris beaucoup sur les conditions de vie des hôtesses : elles sont très jeunes, viennent de toute l’Europe, de plus en plus des pays de l’Est, et vivent souvent en petites communautés apatrides, dans des colocations près des aéroports."
"Elles sont en décalage permanent, on leur donne un planning hebdomadaire et elles découvrent leurs destinations. Ça nous intéressait que le personnage se perde dans un non-temps, entre des non-lieux. C’est une vie épisodique : au moment où elle ferme la porte de l’avion, l’hôtesse se coupe de tout."
"Ça résonne avec le geste du « swipe », ce coup de pouce qui sur une application de rencontre, fait passer d’un rendez-vous potentiel à un autre. Et avec le fait que lorsqu’on demande à Cassandre depuis combien de temps elle travaille, elle est obligée de regarder la chronologie de son Instagram."