Le cinéaste Kirill Serebrennikov est en délicatesse avec le pouvoir russe depuis de nombreuses années mais malgré les condamnations successives, ‘La fièvre de Petrov’ largue ses munitions dès les premières minutes, dans une scène où des oligarques (dont un blond un peu dégarni au regard de fouine) sont arrêtés, collés au mur et sommairement fusillés par des miliciens…mais toute ressemblance avec un président autoritaire encore en exercice serait évidemment purement fortuite, et peut-être ne s’agit-il après tout que d’une hallucination de Petrov, le protagoniste qui, bien qu’il soit accablé par une grippe virulente, se paye une virée alcoolisée avec son pote Yuri. Ce point de départ constitue toute la force et toute la faiblesse d’un film, fiévreux lui-même, qui semble obéir à une sorte de flux de conscience visuel où la réalité devient de plus en plus indifférenciée du fantasme et du souvenir. Le film étant majoritairement constitué de saynètes décousues encadrées de transitions d’un flou onirique, cette absence de structure narrative ferme permet d’ailleurs au spectateur de s’attarder sur n’importe quelle section et d’y déceler ce qu’il a envie d’y déceler, et même d’en faire le message dominant de cette ‘Fièvre de Petrov’. Est-ce que ce sera la critique d’une société égoïste et agressive, qui a perdu tous ses repères…ou la nostalgie d’une enfance idéalisée, même si elle se déroulait sous la botte soviétique ? Après tout, on pourrait tout aussi bien savourer sans arrières-pensées d’autres séquences à l’humour féroce, comme celle où la bibliothécaire irritée massacre littéralement un usager indélicat, ou s’amuser de certaines trouvailles visuelles du réalisateur, parfois proches de celles d’un Michel Gondry. Il est pratiquement impossible de résumer le bouillonnement thématique et visuel d’un film dont l’exubérance n’est pas sans rappeler celle du jeune Kusturica et il est même difficile d’émettre une opinion valable en tous lieux et en tout temps tant l’appréciation de cette ‘Fièvre de Pétrov’ me donne l’impression de dépendre elle-même énormément de l’état d’esprit, de fatigue ou d’ouverture dans lequel l’abordera le spectateur : certaines sections pourront lasser, traîner la patte ou donner l’impression de ne rien avoir à raconter d’intéressant…et se révéler fascinantes si on les aborde sous un autre angle Aussi chaotique, boiteux et obscur dans ses intentions qu’il puisse être, ‘La fièvre de Petrov’ restera une des grandes expériences de cinéma de 2021.