Regis Roinsard n'est pas sorti indemne de la lecture roman, lequel pose beaucoup de questions sur l'amour et la paternité. Le metteur en scène explique : "On se raconte dans un film et je suis moi-même père, en couple depuis longtemps, avec une femme que j’aime et qui m’aime : comment ma fille allait-elle réagir plus grande si je m’engageais dans l’aventure ?"
"Allait-elle nous assimiler à ces amoureux ? Ma femme a su me rassurer : « Eux, ce ne sont pas toi », m’a-t-elle expliqué. Elle m’a permis de changer ma perception des choses et de m’en libérer. J’ai compris qu’il était possible de raconter une histoire à travers son propre prisme ; faire une œuvre personnelle sans que les protagonistes soient obligés d’être trop proches de soi."
Avant d'être porté sur grand écran, "En attendant Bojangles" a été un succès en librairie. Il est paru le 7 janvier 2016 aux éditions Finitude et a reçu de nombreux prix littéraires, dont le prix France Télévisions, le Grand prix RTL-Lire et le prix du roman des étudiants France Culture-Télérama.
Si le roman est raconté du point de vue de l’enfant (y compris lorsqu’il lit les carnets de son père), Regis Roinsard et son co-scénariste Romain Compingt (avec qui il a travaillé sur Populaire et Les Traducteurs) ont préféré partir du point de vue du père. "La notion de point de vue était capitale et ce choix nous semblait le bon. Mais, d’un seul coup, à la fin, celui du fils prend le pas. On glisse vers lui", précise le réalisateur.
Regis Roinsard a situé le film dans les années cinquante et soixante : "J’ai une faiblesse pour ces deux décennies, et les années 80. Des années sans téléphone. Quelles décennies illustrent mieux la fête que ces trois époques ? Regardez des photos du Palace, haut lieu de fête des années quatre-vingt : on ne sait pas qui est riche, qui est pauvre, qui est arabe, qui est juif, jeune, vieux, noir, blanc. Ça a dû être incroyable de vivre à cette période. J’ai voulu transposer cette ambiance du Palace dans les années soixante. C’est cet incroyable brassage de population que Camille et Georges aiment convier chez eux."
Regis Roinsard retrouve Romain Duris près de dix ans après Populaire. L'acteur avait par ailleurs déjà joué aux côtés du très actif Grégory Gadebois dans Cessez-le-feu. Enfin, ce dernier avait pour partenaire Virginie Efira dans Police.
Regis Roinsard a évoqué, avec Virginie Efira, les films de Natalie Wood, particulièrement les adaptations de Tennessee Williams dans lesquelles elle a tourné et où le spectateur sent rapidement que quelque chose va mal se passer. Il ajoute : "Mais aussi des films de la fin des années soixante, comme Propriété interdite, de Sydney Pollack – des films un peu borderline plutôt que spécifiquement sur la folie."
"Les acteurs y ont la peau luisante, on a l’impression qu’ils travaillent sous quarante degrés. Avec Romain, J’ai souvent évoqué les films de James Stewart, pour cet aspect là… Romain, il faut le guider, le mettre en confiance. Souvent, il aime qu’on lui désigne quel chanteur il serait dans un film. Pour Populaire, il avait choisi Dean Martin. Bizarrement, il n’a pas cherché à me le demander pour celui-ci."
Avec son personnage beau parleur, Grégory Gadebois goûte à un registre assez nouveau pour lui et a dû se transformer (un peu) physiquement pour le jouer. Le comédien précise : "Il passe son temps à faire le malin, à se vanter de son petit pouvoir d’homme politique ; il est content de lui, quoi ! Cela me plaisait, tout comme me plaisait la transformation physique que me proposait Régis Roinsard. Physiquement, je n’ai pas la même tête que d’habitude : je porte une moustache, j’ai de beaux habits. J’aime avoir le sentiment de ne pas toujours nager dans le même lac. Et puis l'Ordure est un personnage attachant, c’est un homme de cœur."
Pour régler les chorégraphies, Regis Roinsard a fait appel à Marion Motin, danseuse et chorégraphe, qui a notamment signé les chorégraphies de Christine and the Queens et celles de Stromae. Mehdi Kerkouche, un autre très grand chorégraphe, l’assistait : "Je lui ai montré des vidéos du style graphique que je désirais. Elle s’en est emparé en insufflant sa propre personnalité."
"C’est aussi elle qui a fait travailler Virginie et Romain. Marion est très sensible à l’incarnation et à la manière dont les gens sont habités par leurs pas. Elle a imaginé la danse de Virginie et la scène du tango lors de la rencontre de Georges et Camille durant le week-end de la réussite sur la Riviera, celle de la fête à Paris et, plus tard, de la fête espagnole", se rappelle le cinéaste.
Avec Elsa Pharaon, la directrice de casting enfants, Regis Roinsard a commencé à chercher l'interprète du petit Gary en mai 2019. Le réalisateur avait mis la barre très haut en lui montrant la vidéo du jeune acteur qui joue Eliott dans E.T.... Il se souvient :
"Nous n’avons trouvé Solan qu’au début de l’automne après avoir vu plus de mille enfants. Il s’est présenté avec son frère, Milo, que j’avais repéré tôt mais que je trouvais un peu trop âgé, déjà trop mûr pour le rôle, alors que nous organisions le casting de la bande d’écoliers qui agressent Gary à l’école. Milo me semblait parfait pour jouer leur chef."
"Et là, Elsa tombe sous le charme de Solan et lui demande s’il est d’accord pour apprendre un texte et passer un essai. Dix minutes plus tard, il le connaissait par cœur. Solan joue, Elsa le filme, et monte aussitôt à mon bureau me montrer le résultat. Je sais que c’est lui."
Pour la musique, le cinéaste a sollicité Olivier et Clare Manchon, dont il connaît le groupe, Clare and the Reasons, depuis la fin des années 2000. Les choses se sont déroulées à distance compte tenu de l'épidémie de Covid-19. "Je savais qu’ils commençaient à faire de la musique de films pour des courts et moyens métrages. En attendant Bojangles est leur premier long. Ils étaient bloqués aux Etats-Unis. Nous avons donc échangé par Internet."
"Et, comme il était impossible pour les musiciens de se réunir pour tout orchestrer en même temps, chacun a enregistré sa partie aux quatre coins du pays. La pandémie aidant et faute de pouvoir donner des concerts, nous avons obtenu la collaboration de talents hors pair : le batteur de David Bowie, le bassiste de David Byrne, des gens qui avaient travaillé avec Herbie Hancock, des grands jazzmen. C’était complètement fou", confie Regis Roinsard.
Le roman "En attendant Bojangles" a déjà fait l’objet d’une adaptation au théâtre et d’une autre en bande-dessinée. Mais Regis Roinsard ne les a pas vues/lues : "Je ne voulais rien savoir de ce qui avait été fait. Je me suis approprié le sujet comme si je l’avais moi-même écrit."