Un triomphe s'inspire d'une histoire vraie, celle de Jan Jönson, un comédien suédois qui, en 1985, a monté la pièce "En attendant Godot" avec les détenus d'une prison de haute sécurité. C'est le producteur d'Emmanuel Courcol, Marc Bordure, qui a parlé de cette histoire au réalisateur. Ce dernier se rappelle :
"Il fallait tout réinventer parce que le milieu carcéral suédois des années 80 était très éloigné des prisons françaises d’aujourd’hui. En tant que simple scénariste, je bloquais un peu et après avoir pas mal tourné autour du pot, le projet est un peu tombé en sommeil... Marc m’a seulement dit : 'prends ton temps, je le garde pour toi...' Je suis revenu à la charge auprès de lui en 2016. J’avais eu le temps de réfléchir, et je lui ai proposé de repartir sur le projet en restant beaucoup plus fidèle au fait divers dont il s’inspirait."
Pour représenter l'univers carcéral de manière crédible, Emmanuel Courcol a entrepris un long travail d'observation via des intervenants en prison. Il confie : "Comme de mon passé de comédien j’ai gardé pas mal de relations dans le milieu de la scène, j’ai pu très vite entrer en contact avec des intervenants théâtre en prison et recueillir un peu de leur expérience. Olivier Foubert, comédien, (le régisseur de l’Odéon dans le film), qui anime depuis pas mal d’années des ateliers théâtre à la prison de Fleury-Mérogis m’a ainsi permis de venir comme intervenant animer un petit atelier vidéo à Fleury."
Un triomphe a été tourné au Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, où Emmanuel Courcol avait réalisé son documentaire Douze cordes en 2019 (centré sur un spectacle de huit détenus imaginé par Irène Muscari, coordinatrice culturelle du Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Le metteur en scène explique :
"Ils me connaissaient et j’avais des alliés dans la place, dont bien-sûr Irène Muscari qui nous a beaucoup aidés à organiser ce tournage où tout devait être minuté et prévu au millimètre. Il faut dire qu’accueillir pendant huit jours toute une équipe de cinéma, acteurs, techniciens, figurants, dans une prison de 900 détenus en activité, c’est un vrai casse-tête. C’est la première fois que l’Administration pénitentiaire accordait une telle possibilité à une production. Mais nous avons été très bien reçus par la direction et les personnels se sont montrés très coopératifs. Kad a même été acclamé par les détenus."
Transposés dans une réalité française contemporaine, les personnages de Un triomphe sont totalement différents de leurs modèles suédois et sont le reflet de la diversité propre à la population carcérale française. Sofian Khammes, Pierre Lottin, David Ayala, Wabinlé Nabié, Lamine Cissokho et Saïd Benchnafa incarnent les détenus. Face à eux, Emmanuel Courcol voulait prendre deux grands acteurs (hormis Kad Merad) : Marina Hands en directrice très axée sur la réinsertion (un personnage inspiré de la directrice du Centre pénitentiaire de Nantes) et Laurent Stocker en directeur de théâtre.
Un triomphe a fait partie de la Sélection Officielle du Festival de Cannes 2020.
A noter la présence de Sofian Khammes dans la peau de Kamel, le caïd de la prison, habitué à jouer des délinquants comme en témoignent ses prestations dans Chouf, Le Convoi et Le Monde est à toi. Emmanuel Courcol précise : "J’avais imaginé un grand mec impressionnant, mais quand je me suis retrouvé face à Sofian, que j’ai vu son intelligence de jeu, je me suis dit que c’était lui. Un caïd, c’est une intelligence supérieure, un sens de la manipulation, pas une carrure... Sofian a fait le Conservatoire, il a une vraie culture, une vraie technique. Il fallait que les comédiens soient crédibles en détenus et en même temps qu’il se passe quelque chose quand ils interprètent Beckett. Pour lui, c’était une évidence. On lui a dessiné une cicatrice au maquillage, pour ajouter encore à l’ambigüité du personnage. Kamel est un braqueur, avec lui, on se rapproche du grand banditisme."
Pierre Lottin, incontournable fils de Jean-Paul Rouve dans la lucrative saga Les Tuche, campe un autre prisonnier. Emmanuel Courcol note : "Jordan, c’est un petit voleur, mais, surtout, c’est un récidiviste. Ce ne sont pas des types qui ont des peines très lourdes, mais avec la récidive, elles s’accumulent et la détention devient très longue. On connait surtout Pierre Lottin pour son rôle dans Les Tuche, mais moi je l’ai découvert dans un court métrage, Nuit debout, où il était vraiment étonnant, étrange, voire un peu effrayant. Jordan, c’est le plus fragile, il a peut-être été par moments une tête de turc, parce qu’il ne sait pas lire, du coup il a une relation un peu plus forte avec Etienne. Pierre lui donne sa fragilité, sa fébrilité, quelque chose de très émouvant."
"Il ne lâche pas, c’est sûr ! Par le passé, il a dû pas mal emmerder les gens de théâtre, peut-être parce qu’il se surestime un peu, mais sa pugnacité et son caractère font que, pour une fois, il arrive à quelque chose. C’est un type assez seul, un homme blessé par la vie, qui considère avoir été trahi par ses proches, ses amis et sa famille. Au fond, et c’est l’aspect le moins glorieux du personnage, c’est aussi pour lui qu’il fait tout ça : se retrouver sur la scène de l’Odéon, il ne pouvait y avoir meilleure issue. Emmanuel Courcol me le répétait : n’oublions pas que c’est lui qui se réalise. Tout ce qu’il n’a pas pu faire avant, il le fait à travers cette expérience. Il est très heureux et motivé, il se bat pour les détenus, il change les règles, il les sort de leur cellule et sortir des prisonniers quand ce sont des détenus sérieux, c’est quelque chose d’incroyable."