Sur le papier, le pitch de « Un Triomphe » peut faire un peu peur. Déjà, les films qui se passent en prison, c’est assez spécial, ça ne met pas tout le monde très à l’aise d’emblée. Mais « Un Triomphe », ce n’est pas « Un Prophète », le film ne propose pas une plongée dans l’enfer carcéral avec ses caïds, ses trafics et ses violences, mais au contraire une évasion, grâce au théâtre et à la culture. Emmanuel Courcol adapte l’histoire vraie d’un comédien suédois qui monta « En attendant Godot » dans une prison suédoise en 1986. On imagine que l’adaptation est très libre, les temps ont changé, la population carcérale aussi et c’est peu dire que le système pénal suédois est différent du nôtre. Son film a le mérite d’être parfaitement tenu point de vue réalisation, 1h46 sans temps morts, sans longueurs, sans scènes superflues ou qui cèdent trop de terrain à la comédie pure. D’ailleurs ce n’est pas réellement une comédie, il ne faut pas s’y tromper. « Un Triomphe », c’est un film sérieux sur un sujet sérieux : la Culture en prison, comment l’y amener, comment la faire perdurer, dans quel but ? Evidemment il y a quelques scènes un peu cocasses, quelques répliques assez drôles mais le fond reste toujours sérieux. Tourné à l’intérieur d’une prison, je présume, un centre de détention (longues peines) assez moderne censé se trouver en banlieue lyonnaise, le film nous montre un système pénal relativement apaisé, où les conflits existent sans être incessants, où des amitiés sincères peuvent se nouer. Mais le film n’est pas naïf non plus : vexations, intimidations des caïds, pesanteurs administratives et judiciaires, tout cela est évoqué aussi.
On s’imagine que la représentation de la pièce va être le point final du long-métrage et on est presque surpris de la voir arriver au milieu du film, car il reste après encore beaucoup à dire.
Le film passe bien, et c’est aussi grâce au casting. Kad Merad, tout le monde a compris maintenant qu’il peut tout faire. Il incarne un comédien en galère qui au début assure l’atelier pour « faire ses heures » d’intermittent mais qui fini par se sentir étrangement chez lui en compagnie de ces gamins perdus, en voulant leur faire toucher du doigt la magie de son métier, il retrouve peu à peu le sens de sa vocation. Très sobre, souvent émouvant, il est parfait. A ses côtés, il y a des seconds rôles de talent comme Marina Hands en directrice de prison ou Laurent Stocker en directeur de théâtre. Mais c’est surtout la petite performance sont les cinq détenus comédiens qu’il faut souligner : David Alaya, Lamine Cissokho, Sofian Khammes, Pierre Lottin et Wabinlé Nabié
(et on ajoute Saïd Benchafna qui s’efface un peu trop vite).
Jouer des comédiens qui jouent mal, qui maitrisent mal leur diction, qui surjoue et ne sont pas dans le bon tempo, c’est aussi délicat que de chanter faux exprès quand on sait chanter, c’est surement plus difficile qu’on ne l’imagine. Ils sont tous très biens, notamment Pierre Lottin qui a la rude tâche d’incarner un gamin quasi illettré et plus ou moins dyslexique, sans jamais singer, surjouer ou paraitre ridicule. Le scénario, je dois bien l’avouer, roule sur des rails assez prévisibles jusqu’à 10 minutes de la fin. Sans être naïf, sans être caricatural ni démonstratif, il met en scène des types qui ont surement faits des trucs graves (ce sont des longues peines, on peut penser qu’il y a parmi eux des meurtriers, des trafiquants ou des violeurs) mais dont on ne saura quasi rien de leur vie en dehors des murs da la prison. Leur personnage se limite à ce qu’ils sont au moment M en cours de théâtre, le reste n’est pas évoqué. Personnellement, je préfère que le scénario ait pris ce parti là, ça évite les mauvais procès. Le sujet, c’est le théâtre en prison, et rien d’autre. Ces types, qui ne sont ni pas des enfants de chœurs, qui n’ont pas ou quasiment pas de bagage culturel, pour qui le théâtre c’est d’abord le stand up, trouve dans la pièce de Beckett quelque chose qui résonne avec leur présent. Attendre, en prison, c’est l’activité numéro 1, et une pièce sur des types qui attendent quelque chose qui ne vient jamais, ça leur parle sans qu’ils aient besoin de savoir quoi que ce soit d’autre sur Beckett, sur l’absurde, sur le théâtre et les grands classiques. Est-ce réaliste ? Sachant que c’est tiré d’une vraie histoire (avec les bémols temporels et géographiques que j’ai évoqués), on a très envie d’y croire. Alors on se force un peu pour marcher dans la combine
(la scène du coiffeur).
Et puis il y a les 10 dernières minutes, que personnellement je n’avais pas imaginées comme ça, et qui sont un peu désarmantes sur le moment. A bien y réfléchir, cette fin est une mise en abîme assez cruelle, mi salée-mi sucrée, de « En attendant Godot », je n’en dis pas davantage.
« Un Triomphe » est-il un bon film ? Je dis oui parce que, en dépit de quelques scènes un peu grosses, de quelques répliques un peu faciles (« Ca va… Le Prix Nobel c’est pas le Ballon d’Or quand même ! »), il aurait pu être bien plus caricatural et démonstratif qu’il ne l’est. Sans être un chef d’œuvre, « Un Triomphe » est surtout une déclaration d’amour au théâtre avant d’être un film sur la prison qui ne verse ni dans le sordide, ni dans la naïveté. Le film d’Emmanuel Courcol est équilibré, il oscille en permanence entre le doux et l’amer, et moi ça me va j’aime bien les saveurs sucrées-salées.