Avec Les Sans-dents, Pascal Rabaté avait envie de parler de ces populations auxquelles on prête peu attention ("les invisibles, comme on les appelle !"). Le metteur en scène explique : "Les migrants, les gens du quart-monde, toutes ces personnes qu’on laisse au bord de la route, qu’on juge, qu’on condamne et qu’on prend surtout bien garde de ranger sous le tapis. En tant que citoyen, je me suis toujours intéressé à eux."
Avec Les Sans-dents, Pascal Rabaté a opté pour un parti pris très radical : pas de dialogues intelligibles, pas de musique, des plans souvent très crus, etc. Il confie : "Ce projet ne pouvait exister que s’il était radical. Donc, en effet, pas de musique, pas de mots – les seuls qui sont prononcés dans le film par le personnage de François Morel sont incompréhensibles, à la fois pour la tribu mais aussi pour le spectateur – et pas de typo non plus – l’équipe a passé son temps à enlever de l’écran les marques de voiture, les plaques d’immatriculation, les panneaux indicateurs, tout ce qui possédait des lettres."
"Mais des gestes, des pantomimes et des corps qu’on devait entendre et ressentir. C’est mon côté primaire, premier degré. Et puis, étant une catastrophe en langues vivantes, mon rapport aux autres, en voyage ou simplement en hébergeant des étrangers chez moi, est toujours passé par le dessin ; c’est une autre façon de communiquer."
Pascal Rabaté avait pour références les grands maîtres de la comédie italienne comme il l'explique : "J’adore ce cinéma qui parle du monde ouvrier sans jamais tomber dans la condescendance ou le misérabilisme, les comédies d’Ettore Scola, Dino Risi, Mario Monicelli... Avec ce film, comme eux, j’ai eu à coeur d’aller chercher l’émerveillement dans la marge, la poésie dans la précarité."
Pour ce qui est enterré ou semi-enterré, Pascal Rabaté et son équipe ont pu travailler chez un ami du chef décorateur Angelo Zamparutti. Cet homme, qui habite dans le Vexin, a créé des décors végétaux pour des défilés de mode et entrepose ses plantes dans des galeries souterraines.
"Il a pour autre manie de récupérer tous les décors promis à la casse. Ça a été une véritable manne pour nous. Nous avions le lieu, nous avions aussi une profusion de matériaux : des lavabos, des baignoires, des colonnes grecques, un bout de fusée, un arbre brûlé, un siège de téléphérique…"
"Angelo, qui est également sculpteur et plasticien a puisé là-dedans avec délice, tout en rajoutant sa patte et en satisfaisant les besoins du projet. La tâche était assez énorme. Il dit souvent qu’il n’a pas besoin d’ennemi puisqu’il m’a comme ami", confie le réalisateur.
Benoît Chamaillard, le directeur de la photographie avec qui il a tourné ses trois précédents films, n’étant pas libre, Pascal Rabaté a fait équipe pour la première fois avec Noé Bach. Il explique à son sujet : "Le côté organique du film lui plaisait beaucoup : il a fait un fabuleux travail sur les cadres et la lumière. Le coloriste Yov Moor a aussi beaucoup amené sur le rendu très vivant et sur le travail de matière de l’image. Noé m’a bousculé et fait changer certaines de mes habitudes. On parlait beaucoup de vérité de la lumière, des objets, on ne voulait pas faire joli mais vrai."
Le tournage des Sans-dents devait être bouclé en vingt et un jours : "Nous lisions chaque scène sur place et… nous tournions. La seule mise en place un peu compliquée a été celle des cartons que la communauté déballe après la scène du troc. Là, il s’agissait vraiment de régler une chorégraphie. « Les fioles, tu les poses là ; là, vous vous battez ; toi, tu te mets à jouer avec ça… ». On a tourné des plans larges puis on est rentré dans la scène en plans serrés pour attraper les visages et les expressions des personnages", se souvient Pascal Rabaté.
Le film s’est longtemps appelé "Les Sans Voix". Mais cette expression étant, selon Pascal Rabaté, à la fois très utilisée et à la connotation trop dramatique, il a finalement opté pour Les Sans-dents. "Pendant le tournage, j’ai balancé Les Sans Dents et tout le monde, sur le plateau, s’est mis à rigoler. Dans un certain sens, on renouait un peu avec le titre Affreux, sales et méchants, d’Ettore Scola. Le message du film ne passe pas en second plan mais il y a un filtre comique", précise le metteur en scène.
En dehors de Yolande Moreau, avec qui il tourne pour la première fois, et de quelques nouveaux venus, Pascal Rabaté a fait appel à des acteurs qu'il connaît bien comme François Morel, Gustave Kervern, Charles Schneider, Vincent Martin ou encore David Salles. Il explique :
"J’ai rencontré la plupart sur Les Petits ruisseaux, mon premier long métrage. C’était des acteurs généreux, qui faisaient des propositions, qui jouaient avec leur corps et habitaient véritablement leurs rôles, que ceux-ci soient ou non conséquents. Ils sont devenus ma tribu."
"Yolande, je la connais depuis un spectacle que nous avions fait ensemble à Angoulême durant une édition du Festival de la BD. On s’était très bien entendus. Elle n’était pas disponible pour Ni à vendre ni à louer et j’ai pensé que je ne pouvais pas passer à nouveau à côté d’elle pour Les Sans-dents."