Le film est adapté du roman Maigret et la jeune morte de Georges Simenon, publié pour la première fois en 1954. Ce récit (l'une des œuvres les plus crépusculaires de l'écrivain) a déjà connu quatre adaptations en téléfilms de 1959 à 1973. Le réalisateur Patrice Leconte explique :
"Avec Jérôme Tonnerre, on partage la même admiration pour Simenon et, assez naturellement, on a eu envie de nous replonger dans son univers. C’est alors que Jérôme m’a fait remarquer que Maigret n’avait pas été incarné au cinéma depuis 1958, avec Jean Gabin. On allait donc adapter un Maigret."
"Mais on voulait que l’intrigue se déroule à Paris parce que, à mes yeux, Maigret est rattaché à certains lieux emblématiques comme le quai des Orfèvres ou les Batignolles. Jérôme est alors tombé sur Maigret et la jeune morte que je ne connaissais pas : quand je l’ai lu, il s’est imposé comme une évidence."
Gérard Depardieu et Mélanie Bernier avaient déjà joué ensemble dans La Tête en friche (2010). Le célèbre acteur retrouve également Aurore Clément après Bon voyage (2003).
Le commissaire Jules Maigret a souvent été joué au cinéma ou à la télévision. Il l'a notamment été à 54 reprises en 14 ans par Bruno Crémer dans la série et les téléfilms Maigret durant les années 1990. Jean Richard s'est glissé 88 fois dans ce costume dans une série qui commença en 1967.
Au cinéma, le personnage a été initialement représenté par Pierre Renoir dans La Nuit du carrefour (réalisé par son frère Jean Renoir en 1932), puis à trois reprises par Jean Gabin, et le Canadien Maurice Manson, Albert Préjean, Abel Tarride, Rowan Atkinson, Harry Baur, Charles Laughton, Michel Simon, Heinz Rühmann, Michael Gambon ou encore Gino Cervi...
A l'origine, Daniel Auteuil devait jouer le rôle-titre. Mais il s'est finalement désisté au profit de Gérard Depardieu.
La dernière apparition au cinéma du personnage date de 1968, avec la sortie de Maigret fait mouche, coproduction italo-autricho-franco-allemande. Ce film adaptait le roman La Danseuse du Gai-Moulin, qui met Maigret (Heinz Rühmann) face au mystère entourant le meurtre d'un gardien de musée au cours du vol d'un tableau de van Gogh.
Patrice Leconte a découvert les romans de Georges Simenon dès l'enfance, grâce à sa grand-mère maternelle qui les lui apportait lorsqu'elle le gardait. Le metteur en scène se rappelle : "Elle apportait avec elle des romans de Simenon, et en particulier des Maigret."
"J’en lisais quelques-uns qu’elle laissait sur sa table de nuit, et que je trouvais formidables, mais je m’empêchais de les aimer totalement en me convainquant que c’était de la littérature facile. Jusqu’à ce qu’en classe de Terminale, mon prof de philo, dès le premier cours, annonce..."
"'Nous allons passer du temps en compagnie de Descartes, Hegel, Kierkegaard et Kant, mais sachez que pour moi le plus grand philosophe, c’est Georges Simenon'. Tout à coup, je me suis dit que j’avais eu raison d’apprécier cet auteur, comme si cet .enseignant l’avait légitimé."
Patrice Leconte avait déjà porté à l’écran l'une des œuvres de Georges Simenon, avec Monsieur Hire (1989). Il confie : "C’était très particulier car je connaissais Panique de Julien Duvivier, l’un de mes cinéastes préférés, sans savoir qu’il s’agissait d’une adaptation des Fiançailles de Monsieur Hire. Pour m’amuser – et un peu par provocation –, je disais que j’aimerais tourner un remake de Panique."
"Mais après Tandem, le producteur Philippe Carcassonne m’a signalé que j'en étais pas obligé de faire un remake, mais une nouvelle adaptation ! Je suis tombé des nues car je ne savais pas qu’il s’agissait d’un Simenon, et, bien entendu, je me suis précipité sur le livre ! C’est ainsi que, s’agissant de ma première adaptation de Simenon, mon attirance initiale pour cette histoire n’était pas liée à l’auteur."
Pour se centrer sur la trajectoire de Maigret (qui cherche à savoir qui était cette jeune morte dont personne ne semble se souvenir), Patrice Leconte a supprimé beaucoup de personnages secondaires présents dans le livre. Le cinéaste précise :
"Par ailleurs, pour nous démarquer de la panoplie archi-éculée du Maigret avec chapeau, pipe et manteau qui était au-dessus de mes forces, tant elle est convenue, nous avons eu cette idée simple, avec Jérôme Tonnerre, du médecin qui conseille au commissaire de ne plus fumer."
"On le voit tripoter encore sa pipe avec regret et cela fait partie intégrante du Maigret incarné par Depardieu qui s’éloigne des représentations habituelles. Dans le même esprit, le film s’appelle Maigret et non Maigret et la jeune morte, pour exprimer l’idée qu’il s’agit de notre Maigret, et non celui des adaptations antérieure."
Patrice Leconte a voulu filmer un Paris fantomatique dans un style quasi expressionniste, le film se déroulant dans les années 1950. Le réalisateur a aussi voulu éviter une reconstitution trop minutieuse pour ne pas détourner l’attention du spectateur de l'essentiel.
"Certes, il s’agit des années 50, mais je voulais que le film soit très stylisé dans la mise en scène, la lumière, les accessoires, les costumes, avec des partis-pris de cadre et d’éclairage assez forts. Monsieur Hire devait être un film atemporel, et on s‘était amusés à brouiller les repères chronologiques."
"Cette fois, on était un peu plus tenus de dater le film précisément : il n’y a donc pas d’accessoires anachroniques, mais il n’y a pas de reconstitution obsessionnelle, sinon le réalisateur se transforme en gardien de musée", se rappelle Patrice Leconte.
Patrice Leconte et Bruno Coulais ont opté pour une musique économe, qui n'est pas symphonique. Le metteur en scène précise : "Je voulais aussi que la musique ait un côté un peu obsessionnel car, pour Maigret, le film est la quête de l’identité de cette jeune fille morte. Il y a quelque chose de calme et d’entêté chez Maigret, et je voulais que la musique participe de cette opiniâtreté. Dans le même temps, j’avais envie d’une évocation un peu émue de qui était cette jeune morte –une musique plus légère qui accompagne le souvenir éventuel de la défunte."
Gérard Depardieu incarne un Maigret plus humain : "On voit pour la première fois qu’il a un cœur, une humanité, et on découvre à cette occasion qu’il a eu une fille avec Mme Maigret – il n’a pas que le pot-au-feu dans sa vie !", explique le comédie, en poursuivant :
"Il a une véritable relation avec sa femme, toute une vie à ses côtés, que le film rend palpable. On ressent leur complicité dans la scène du cimetière où il enterre cette jeune fille avec ses vingt ans de perdus. Mais il fallait un homme comme Patrice, avec son sens profond de l’humain, et tous ses collaborateurs – de Jérôme Tonnerre à Yves Angelo, sans oublier les décorateurs, les machinos, les électros –, pour obtenir un tel résultat."