Babylon : les secrets du tournage

Babylon est le résultat de 15 ans de recherches et de construction d'un monde qui a pris racine dans la tête de Damien Chazelle bien avant qu'il ne tape la première version du scénario : "Je voulais examiner au microscope les débuts d'une forme d'art et d'une industrie, lorsque toutes deux étaient encore en train de trouver leurs marques et, plus profondément, j'aimais l'idée d'observer une société en mutation."

"Hollywood a connu une série de changements rapides, aux allures cataclysmiques pour l'époque, dans les années 20. Certaines personnes en sont sorties indemnes, mais beaucoup n'ont pas réussi. Dans des termes contemporains, nous appellerions cela une rupture. En s'intéressant de plus près à ce que ces gens ont eu à traverser, on se fait une idée du coût humain qui accompagnait ce genre d'ambition à LA."

"Il existe un côté plus sombre dans l'histoire de cette transition, que j'avais déjà perçu. Cette période a duré au-delà de l'arrivée du cinéma parlant et a inclus un certain nombre de nouveaux codes moraux – avec un point culminant dans la rédaction du Code de la Production des années 30 - et la réorganisation d'une communauté plus libre et non réglementée en l'industrie globale que nous connaissons aujourd'hui."

"Coïncidant avec tout cela, Los Angeles est passée d'une ville désertique essentiellement rurale au début des années 20 à l'une des plus grandes mégalopoles du monde à la fin de la décennie. Beaucoup de nouveaux bâtiments étincelants et de plateaux de tournage sont sortis des cendres, mais les dégâts humains ont été considérables", explique le metteur en scène, qui signe son cinquième long métrage.

Emma Stone devait incarner Nellie LaRoy, mais a dû renoncer pour des raisons d'emploi du temps après le report du tournage lié à la pandémie de COVID-19. Si elle avait été de la partie, elle aurait retrouvé Damien Chazelle après La La Land.

Si le personnage de Nellie est inspiré de plusieurs stars du cinéma muet, c'est l'histoire vraie de Clara Bow qui a particulièrement aidé Margot Robbie à appréhender le rôle : "Clara Bow a probablement eu la pire enfance dont j'ai entendu parler", confie-t-elle, en faisant référence aux traumatismes et aux abus dont elle a été victime dans un milieu également marqué par la pauvreté. La comédienne poursuit :

"Les parents de Clara n'ont jamais obtenu d'acte de naissance parce qu'ils avaient déjà perdu deux enfants, et étaient certains qu'elle ne dépasserait jamais son bas-âge. Lorsque j'ai lu cela, le personnage de Nellie a commencé à prendre tout son sens pour moi. J'ai compris qu'elle avait toujours eu l'impression que chaque jour passé sur cette planète lui était compté, et elle se donnait à fond en conséquence."

Pour interpréter Manny Torres, un jeune rêveur qui essaie de percer dans le monde du cinéma en même temps que Nellie LaRoy, Damien Chazelle voulait un nouveau venu pour le public hollywoodien. Il a donc eu recours aux portraits professionnels des books de comédiens qu'épluchent les directeurs de casting. "J'ai regardé un tas de photos, et Diego avait le visage d'un poète. J’ai vu un air poétique et rêveur dans ses yeux", se rappelle le réalisateur.

Brad Pitt et Leonardo DiCaprio ont tous deux lu le scénario de Babylon au moment du tournage de Once Upon a Time... in Hollywood.

Si Damien Chazelle a porté son choix sur Brad Pitt, c’est tout simplement parce qu'il ne voyait aucun autre acteur actuel pouvant à ce point avoir l’aura d’une star de l’époque. Le metteur en scène confie : "Brad est l'une des rares personnes aujourd'hui qui reflète l’idée de ce qu'était une star de cinéma à l'ancienne."

"Cette sorte d'aura plus grande que nature qu'une star de l'époque pouvait dégager, apparemment sans effort. Voilà ce qui arrive avec Brad, surtout à ce stade de sa carrière. Vous ne voyez pas le travail... C'est complètement invisible et sans effort. Cela fait partie de la magie que l’on sent chez lui.”

Dès que Damien Chazelle a commencé à visualiser Babylon, il a eu la certitude que le film devait être tourné en 35 mm, au format anamorphique, pour capturer Los Angeles avec un champ de vision plus large qu'avec un autre format. Le metteur en scène précise :

"Selon moi, Los Angeles est une ville anamorphosée. Une ville grand-écran. On a l'impression que l'horizon s'éloigne sous nos yeux, et je voulais capturer la nature épique de cette vision, qui était en quelque sorte la promesse de l'Amérique tout entière à cette époque."

Pour l'extérieur du manoir des Wallach, Florencia Martin et le directeur de la photographie Chris Baugh ont trouvé le château de Shea, dans les contreforts à l'ouest de Palmdale, à environ 100 km de Los Angeles. Baugh a choisi le site autant pour son éloignement et sa vue que pour son passé de terrain de jeu des stars.

Toutes les séquences de danse ont été chorégraphiées par Mandy Moore, qui avait déjà travaillé avec Damien Chazelle sur La La Land. Le réalisateur lui a donné la liberté de trouver les bons mouvements pour le personnage de Nellie, avec pour seule contrainte : pas de charleston (la danse si souvent associée aux années folles dans la culture pop). Elle se souvient :

"Quand nous avons évoqué le film pour la première fois, Damien a clarifié qu'il ne voulait pas que la danse ressemble à ce qu'on attend des années 20. Sortez donc de votre tête tout ce qui a à voir avec le charleston, le swing, les jazz hands ou les flappers". Margot Robbie explique : "Tous ces mouvements que l'on associe aux années 20 sont en fait issus de la danse africaine."

"C'était ma référence pour la scène de la fête. Même si on a été confrontés à des contraintes à cause des grues et de la caméra, j'ai pu explorer les mouvements et trouver quelque chose de réel qui avait cette énergie authentique, propre à Nellie."

L'un des défis d'avoir à jongler avec une distribution chorale est de trouver le moyen de nourrir chacune des intrigues sans ralentir l'élan de la narration principale. Damien Chazelle confie : "Vous avez six rôles principaux dans cette histoire, entourés de toute une galerie de personnages d'arrière-plan, et tous sont intéressants en eux-mêmes."

"Vous voulez avoir le sentiment que chacun des personnages, même ceux qui n'ont qu'une seule scène, ont une vie qui se déroule au-delà du cadre de la scène. C'est quelque chose qu'on peut ressentir dans les romans mais pas tellement souvent au cinéma."

Damien Chazelle a souhaité que les décors soient aussi réels que possible. Ainsi, pour recréer le L.A. des années 20, il a fait appel à la chef-décoratrice Florencia Martin. Il explique : "Florencia a dû relever un défi fou avec ce film, celui de recréer le Los Angeles de l'époque, mais aussi de recréer chaque expérience de studio. Et à l'intérieur de tout cela, nous avons recréé chacun des décors fictifs du film, donc on peut parler de décors dans les décors dans les décors – une véritable mise en abîme."

Brad Pitt et Margot Robbie ont joué dans Once Upon a Time... in Hollywood et The Big Short : Le casse du siècle, deux films dans lesquels ils ne se donnent pas la réplique.

Le studio du Kinoscope dans lequel Nellie entre pour son premier jour de tournage a été construit à partir de rien, sur un terrain vague à Piru, et s'inspire étroitement des studios en plein air et des décors de l'époque. Florencia Martin raconte :

"Le Kinoscope est ce qu'on appelle un studio de quartier pauvre. Nous voulions donc montrer à quel point le studio était dépouillé, pour coller à l'approche de l'époque. C'étaient vraiment des bulles de fantaisie surgissant en plein désert. Elles jaillissaient comme ça, alors que quelques semaines auparavant, rien n'existait à cet endroit."

La scène de la fête de Hearst a été filmée dans la vieille maison du chorégraphe et réalisateur Busby Berkeley. Elle est historiquement préservée, avec des peintures murales et des anges peints à la main. "Une forme d'élégance et d'opulence que nous ne rencontrons dans aucune des maisons des autres personnages", explique Florencia Martin.

La chef costumière Mary Zophres, qui retrouve Damien Chazelle après First Man et La La Land, a conçu une garde-robe évoquant à la fois une époque révolue et un style intemporel. "Le film compte 250 acteurs et de multiples changements de costumes pour tous les personnages principaux. Cela nous a amené à créer environ 7 000 costumes", explique-t-elle.

Manny a été inspiré par plusieurs personnages réels. L'un d'entre eux est Rene Cardona, un immigrant cubain dans le Hollywood des années 1920, qui a gravi les échelons pour devenir le plus jeune directeur de studio de la ville, et qui a ensuite joué un rôle important dans l'âge d'or du cinéma mexicain.

Parmi ses comparses, on trouve également Enrique Vallejo, un immigrant mexicain qui a commencé comme caméraman pour Chaplin avant de se tourner vers la réalisation et la supervision de la production, et les frères Rodriguez, qui ont participé à la révolution du cinéma parlant à la fin des années 1920.

La chanteuse Lady Fay Zhu est inspirée de l’actrice Anna May Wong, première star américaine d’origine chinoise à Hollywood. Dans Babylon, elle est interprétée par Li Jun Li, qui s'est surtout illustrée dans des séries comme Quantico, L'Exorciste, Wu Assassins ou Sex/Life.

La séquence du champ de bataille a nécessité plus de 30 cascadeurs, 10 cavaliers, 30 musiciens, une chorégraphie de combat poussée et de nombreuses explosions conçues et exécutées par le coordinateur des effets spéciaux Elia Popov. Doug Coleman, le coordinateur des cascades, se rappelle :

"Nous avons eu quatre jours de répétitions, parce qu'il y a beaucoup plus que le combat à mains nues. Nous avons filmé une scène durant laquelle une personne est traînée par un cheval au galop à travers une tente, et d'autres comportant une voiture-caméra s'écrasant contre une tour et tout un tas d'explosions."

"Nous avions une voiture caméra moderne filmant une voiture caméra des années 1920 avec des chevaux qui courent en arrière-plan, c'était assez surréaliste. Cela a vraiment mis en relation tout ce que nous avons aujourd'hui par rapport à ce qu'ils avaient à disposition il y a cent ans."

L'éléphant est le résultat d'un mélange entre effets pratiques et effets visuels. Le superviseur des effets visuels Jay Cooper et son équipe ont utilisé un marionnettiste sur le plateau, par-dessus lequel un éléphant de synthèse a été animé en post-production.