Michel Hazanavicius fait clairement partie de ces cinéastes qui ne restent jamais dans leur zone de confort et savent se renouveler sans cesse (quitte à se mettre en "danger" artistiquement parlant), touchant à plein de genres/exercices de style différents (le grand détournement des films Warner, les parodies vintages, le film muet, le film de guerre, le biopic à la Godard, le remake zombiesque).
Et il nous le prouve une nouvelle fois aujourd'hui avec son premier film d'animation, adaptation de l’œuvre homonyme du dramaturge et scénariste Jean-Claude Grumberg, et sans nul doute son œuvre la plus marquante d'un point de vue émotionnel.
Présenté en compétition à Cannes et ayant fait l'ouverture du dernier festival d'Annecy, cet anti-Petit Poucet est un conte sur fond de réalité historique, faisant continuellement se confondre la vie et la mort, la beauté et l'horreur, l'innocence et la déshumanisation.
C'est l'histoire d'un choix et d'un espoir qui nous est conté : le choix d'un père désespéré, en route pour la mort avec sa femme et ses 2 bébés, qui va "sacrifier" l'un d'eux pour lui offrir, il l'espère, une autre issue.
Et l'espoir d'une femme, qui va recueillir celui-ci, s'occuper de lui et le protéger coûte-que-coûte, pour devenir ainsi l'enfant qu'elle et son mari ont perdu.
Mis en images à travers une animation traditionnelle d'une grande beauté et poésie (dont la création graphique des personnages par Hazanavicius lui-même), rappelant certains tableaux de la fin du 19e/début du 20e siècle, le film nous y dépeint la complexité du cœur des Hommes (à l'image du mari bûcheron, rabaissant et rejetant dans un premier temps ce petit "sans cœur", avant d'ouvrir les yeux (et les oreilles) et de se prendre d'affection pour cet enfant innocent) et l'effet des horreurs des guerres, présentes comme passées (à l'image de cet ancien soldat à la gueule cassée et vivant en ermite).
Et plus le film avance, plus la réalité va s'immiscer dans le conte, et plus les mots vont s'estomper pour laisser la parole aux images
Ces images de l'intérieur d'un train, et ces visages sans espoir. Ces images d'un camp où ne règne plus que la mort, et ce regard émacié et vide.
Ces visages figés qui ont disparu dans l'obscurité du néant, dans un lieu où l'humanité n'a jamais existé.
Ces images que nous connaissons toutes et tous et que le film a l'intelligence de traiter par le biais d'une symbolique sobre, mais évidente, frontale, parlante (et ce malgré une composition musicale, signée Alexandre Desplat, un peu trop présente parfois, là où le silence aurait été encore plus impactant).
Un film, traversé par les rails et les trains, qui se charge peu-à-peu de quelque chose d'indicible et de profond.
Et qui déploie toute sa force émotionnelle lors d'une scène capitale et toute en regards :
l'un se reflétant dans la vitre d'un bar, révélant au personnage, méconnaissable, toute l'horreur qui s'est imprimé sur son visage (avec une référence directe au célèbre «Cri» d'Edvard Munch) ; l'autre étant renvoyé par les yeux d'une petite fille, dressant un parallèle instantané et tragique dans la tête de son père (comme du spectateur), et lui démontrant que son "sacrifice" a été la seule bonne chose à faire, et que l'espoir a trouvé son chemin.
Co-produit notamment par les frères Dardenne, Robert Guédiguian et Riad Sattouf, cette nouvelle réalisation de Michel Hazanavicius s'avère être une œuvre courte mais forte sur le combat pour la vie face à la mort, une œuvre juste et lumineuse pour faire face à la noirceur du monde.
Un film humaniste se concluant sur les derniers mots, impactants et intemporels, du regretté Jean-Louis Trintignant (dans son ultime rôle), faisant de celui-ci l'un des moyens les plus judicieux de lutter contre l'effacement progressif de notre mémoire collective.
L'un des meilleurs films d'animation de cette année ne devrait laisser personne indifférent, dans le fond comme dans la forme.
Car la plus précieuse des marchandises n'est autre que la vie elle-même. Et tant qu'il y a la vie, il doit toujours y avoir de l'amour et de l'espoir.