Kaouther Ben Hania a eu l'idée du scénario de L'Homme qui a vendu sa peau lorsqu'elle était au Louvre en 2012. Cette année, le musée consacrait une rétrospective au Belge Wim Delvoye et la réalisatrice a été marquée par l'une de ses oeuvres, "Tim 2006", un homme tatoué par la main de l'artiste exposé sur un fauteuil. Cette image ne l'a alors plus quittée. Elle se rappelle :
"Petit à petit d’autres éléments de mon vécu, de l’actualité brûlante, des hasards des rencontres sont venus se greffer et enrichir cette image. Un jour en 2014, alors que je m’apprêtais à retoucher la énième version du scénario de mon film précédent La Belle et la meute, je me suis retrouvée à écrire d’un jet, durant 5 jours d’affilé, le récit de L’homme qui a vendu sa peau. L’histoire était mûre."
Le film est centré sur une rencontre entre deux sphères qui captivent Kaouther Ben Hania : celle de l’art contemporain et celle des réfugiés, avec d'un côté un univers élitiste où la liberté est le mot d’ordre et de l’autre un monde de survie. La cinéaste précise : "Le contraste entre ces deux univers dessine dans ce film une réflexion sur la notion de liberté. Quand Sam le réfugié rencontre Jeffrey l’artiste, il lui dit : 'Tu es né du bon côté du monde'. La problématique est là : on vit dans un monde où les gens ne se valent pas. Malgré tous les discours sur l’égalité ou les droits humains, les contextes historiques et géopolitiques de plus en plus complexes font qu’il y a forcément des privilégiés et des damnés. Le film est un pacte faustien entre un privilégié et un damné."
Pour jouer Sam Ali, un personnage sensible, impulsif, authentique et entier, Kaouther Ben Hania a cherché un acteur possédant une patte émotionnelle large. Elle se rappelle : "Le casting était long mais quand j’ai visionné les essais filmés de Yahya Mahayni, j’ai tout de suite vu en lui un diamant brut. Un acteur capable de porter le film sur son dos !"
La figure de l’artiste au cinéma a été souvent peinte sous les traits d’un être torturé qui souffre de ses démons. Avec le personnage de Jeffrey Godefroy, Kaouther Ben Hania a cherché à rompre avec cette idée romantique. "C’est un personnage charismatique, sûr de lui qui connaît les rouages du marché de l’art et qui va jusqu’à lancer un pavé dans la mare avec une œuvre provocatrice. C’est la figure de l’entrepreneur créatif. Notre coproductrice belge m’a envoyé la démo de Koen de Bouw et il était juste Jeffrey ! C’est un acteur formidable d’un charisme hors pair", confie la réalisatrice.
A noter la présence de Monica Bellucci dans la peau de Soraya, une femme qui dégage un côté hautain propre à certaines personnes bien installées dans leur travail. Kaouther Ben Hania raconte : "Monica Bellucci, dans la vie, n’est pas du tout comme Soraya. C’est quelqu’un d’extrêmement humble et sensible, mais elle connaît bien le monde de l’art et a su tout de suite décrypter le personnage de Soraya."
L’écriture de L'Homme qui a vendu sa peau a plongé Kaouther Ben Hania dans l’histoire de l’art et surtout dans la représentation du corps humain dans la peinture. La cinéaste a ainsi collecté beaucoup d’images, de photos et de tableaux pouvant nourrir l’univers visuel du film :
"J’ai aussi storyboardé la majorité des scènes en fonction des décors sélectionnés. À la fin de ce travail de conception, j’ai rencontré Christopher Aoun mon chef opérateur avec qui on a passé des jours et des nuits à discuter de chaque scène, de chaque image, de chaque ton, des couleurs du film. Rien n’a été laissé au hasard. C’était un brainstorming enchantant. Avec sa créativité, son implication et son sens du perfectionnisme, il a su trouver des solutions techniques pour magnifier le tout et aller au-delà de mes attentes", se souvient-elle.