Les Meilleures est premier long-métrage de Marion Desseigne-Ravel, qui a réalisé plusieurs courts. Lorsqu'elle est arrivée à Paris pour faire la FEMIS, l'apprenti-réalisatrice a trouvé un appartement dans le quartier de la Goutte-d’Or (18ème arrondissement). En bas de chez elle se trouvait une association qui faisait du soutien scolaire et a tout de suite eu envie de rencontrer ses membres. Elle se rappelle :
"Je me suis retrouvée bénévole pour l’aide aux devoirs et certains samedis nous tournions de petits courts-métrages dans le cadre d’un atelier cinéma. C’était l’époque du « Mariage pour tous ». On en parlait partout, et les manifestants anti-mariage avaient eu cette drôle d’idée de venir tracter à Barbès, pensant que les musulmans du quartier allaient rejoindre les catholiques du 16ème arrondissement."
"Ça n’a pas marché, mais les ados de l’association ont débarqué un jour avec des tracts très virulents et m’ont prise à partie sur la question de l’homosexualité. J’étais en couple avec une femme et je le leur ai dit. Ça a ouvert un espace de dialogue entre nous. Leurs questions m’ont secouée et bouleversée. Tout cela a fait naître l’idée des Meilleures."
Pour écrire le personnage de Nedjma, Marion Desseigne-Ravel a pensé à des filles qu'elle a côtoyées lorsqu'elle était adolescente, et lui a aussi donné l'énergie qu'elle avait à cet âge-là. "Ce qui m’intéressait chez elle, c’était ce mélange de brutalité en surface et de tendresse camouflée. Elle a quelque chose de désarmant, une sensibilité à fleur de peau qu’elle essaie de cacher", se rappelle-t-elle, en ajoutant au sujet de Zina :
"J’ai écrit le personnage de Zina à contre-courant de celui de Nedjma, afin qu’elles se situent à deux pôles opposés dans le film. Je me disais que Zina allait apporter à Nedjma tout ce qu’elle ne s’autorise pas à montrer, et notamment sa tendresse. Si au début du film Nedjma suit la loi des copines, la loi du quartier, Zina est à l’inverse celle qui se place en marge de la dynamique des bandes. Zina possède davantage de liberté d’esprit et c’est aussi ce qu’elle va offrir à Nedjma."
La question du partage du territoire est centrale dans Les Meilleures et Marion Desseigne-Ravel explique avoir conçu le film comme un western au féminin ! "On pourrait croire, si on s’en tient à son sujet, que Les Meilleures est un film social, mais j’avais à cœur de m’éloigner de cette dimension. C’est pourquoi on a choisi de styliser certains lieux comme ce banc rose qui tient une place majeure dans l’histoire. Le square dans son ensemble est une sorte d’arène, comme la rue principale d’un film de John Ford : tout le monde s’y croise, on s’y observe, on s’y affronte..."
"C’était un tic de langage des ados avec lesquels j’ai travaillé, elles s’appelaient toujours comme ça : « les meilleures », « ma meilleure ». Les dialogues ont changé au cours du tournage et cette expression ne figure plus dans le film, mais j’ai eu envie de garder ce titre. J’avais envie d’un titre lumineux, qui porte en lui une note d’espoir."
Marion Desseigne-Ravel et le compositeur Romain Kronenberg ne voulaient pas aller du côté du rap ou des musiques urbaines car trop attendues. La réalisatrice raconte : "Je me souviens d’une jeune fille de l’association où j’étais bénévole qui écoutait du Ray Charles. Ça m’avait marquée. Je voulais donc qu’on traverse des styles de musique très différents : du Chopin remixé, du Bachar Mar-Khalifé, du Gil Scott-Heron, etc. S’il y a très peu de personnages masculins dans mon film, les hommes sont présents par les voix dans les musiques. J’aimais ce contraste-là."
Composé de deux plans-séquences collés par les regards de Zina et Nedjma l’une sur l’autre, le plan final était très chorégraphié. Il s’agissait, pour Marion Desseigne-Ravel et son équipe, de faire le tour de l’arène qu’est le local de leur association de quartier et où l’on recroise la plupart des personnages. La cinéaste se souvient :
"Pendant une prise, il y a eu un moment d’impro où Kiyane Benamara s’est levée avec sa chaise en créant un désordre qui donne une certaine magie au plan. J’adore ces moments sur le plateau où un accident vient offrir quelque chose d’inattendu. Quant au regard caméra à la toute fin, j’aimais l’idée de créer une grande proximité entre le personnage et le spectateur. J’y vois aussi une forme d’ouverture. Cette histoire, qui pourrait paraître circonscrite à ces ados, nous concerne en réalité toutes et tous."
Marion Desseigne-Ravel a préparé le casting des Meilleures en réalisant celui du court métrage Fatiya (2019). La cinéaste et la directrice de casting Anaïs Duran ont vu beaucoup de monde, et ont rencontré Lina El Arabi (Nedjma) assez tôt. La réalisatrice se remémore :
"Il m’a immédiatement paru évident que le rôle de Nedjma était pour elle. Elle incarnait parfaitement les différentes facettes du personnage : son côté dur, son humour, mais aussi et surtout sa tendresse... Lina possède une grande palette de jeu et peut être terriblement émouvante."
"Il fallait qu’on sente que ces filles se connaissaient depuis dix ans et qu’on croie aux rivalités entre les bandes. Nous avons eu beaucoup de mal à caster les personnages de Zina et de Leila, la petite sœur, car le sujet de l’homosexualité faisait peur aux actrices ou à leurs parents."
"Esther Rollande, qui joue Zina, est donc arrivée tardivement sur le projet. C’était sa toute première expérience de jeu et elle m’a impressionnée par sa maturité. Pour Lina comme pour Esther, ça a été un vrai engagement et une preuve de courage d’incarner ces personnages."