Le court métrage précédemment réalisé par Hinde Boujemaa, Et Romeo a épousé Juliette, était déjà une radiographie du mariage, tout comme son documentaire C’était mieux demain qui questionnait les rapports hommes-femmes. La cinéaste explique : "Quand je tournais mon documentaire C’était mieux demain, j’ai suivi une femme pendant un an et demi lors de la révolution arabe. Je l’ai accompagnée pendant sa recherche désespérée d’un toit et sa tentative de se reconstruire une vie. La révolution a donné l’illusion qu’on pouvait tout effacer et recommencer à zéro. Les événements ont provoqué ce flottement mais, bien sûr, avec le temps, on s’est rendu compte qu’il n’en était rien. Le fait d’avoir vécu pendant un an avec une femme dans une situation précaire a secoué beaucoup de choses en moi et nourri mon film. J’ai rencontré beaucoup d’autres femmes grâce à elle et entendu énormément d’histoires, ce qui m’a amenée vers la fiction. Le fait d’être avec ces femmes et d’oeuvrer au sein d’une association a été le point de départ."
En Tunisie, la loi sur l’adultère prévoit les mêmes sanctions pour les deux amants, mais on constate que les plaintes émanent surtout des hommes. Hinde Boujemaa précise : "Les hommes se saisissent surtout de cette loi car l’ego de la femme n’est pas blessé de la même manière. Elle va prendre sur elle et se dire qu’elle n’est pas assez bien. Alors que l’ego de l’homme est social. « Qu’est-ce qu’on va penser de moi ? ». Cette préoccupation fait toute la différence. Il est plus facile pour les hommes d’aller porter plainte avec une loi qui les aide. Il faut dénoncer cette loi sur l’adultère en Tunisie qui est complètement ridicule et qui prévoit de deux mois à cinq ans d’emprisonnement pour les amants. C’est un sujet complètement tabou dans le monde arabe qu’il faut questionner. On ne doit pas se faire arrêter parce qu’on aime ailleurs ou que l’on trompe. L’Etat n’a pas à intervenir là-dedans."
Les acteurs principaux de Noura rêve sont utilisés à contre-emploi. Star glamour, Hend Sabri est ainsi dépouillée de tout artifice. Humoriste, Lotfi Abdelli endosse quant à lui un rôle très sombre... Hinde Boujemaa ajoute : "Je suis allée d’abord vers ces acteurs car j’aimais leur sensibilité qui s’accordait aux personnages que j’avais en tête. Hakim Boumsaoudi, qui joue l’amant, est employé lui aussi à contre-emploi. C’est un clown dans la vie et un amoureux qui ne s’est jamais marié. Emmener Hend Sabri, dans un univers qu’elle ne connaissait absolument pas, était un enjeu pour elle comme pour moi. Elle devait parler le tunisien d’une manière qu’elle avait complètement perdue car cela fait quinze ans qu’elle habite en Egypte. Quand elle vient en Tunisie, elle parle bien sûr la langue mais il y a des tournures de phrases, des accents qu’elle a dû réapprendre. Elle a fait un travail de titan pour casser son allure sophistiquée."
Noura rêve se déroule dans le sud du centre-ville de Tunis où l'on aperçoit d’ailleurs le lac de Tunis. Il s’agit d’un quartier très populaire. "Nous n’avons rencontré aucun problème pour les autorisations de tournage et le film va sortir là-bas. La scène du commissariat a été tournée dans une ancienne église, en plein centre-ville. Sous Ben Ali, elles ont été transformées en commissariats ou en centres pour dépister les toxicomanes", note la réalisatrice Hinde Boujemaa.
Noura rêve va permettre des débats sur les rapports hommes et femmes, même si Hinde Boujemaa explique être bien plus dans une démarche artistique que sociologique. La cinéaste précise : "Il ne passera pas inaperçu dans le monde arabe. En Tunisie, il y a longtemps que Hend Sabri n’a pas été vue à l’écran. Elle a fait un film il y a 15 ans. Ici, elle transgresse, en parlant d’une manière vulgaire. On a reproduit le langage de la rue. Outre le langage qui pourra susciter des réactions, il y aura bien sûr le sujet de l’adultère. Je vais faire des débats dans toute la Tunisie. Cela va secouer des interdits et ce sera sans doute difficile dans certains pays arabes où les femmes sont lapidées. C’est pour cette raison que j’ai essayé de raconter le film à travers le prisme de Noura, pour que les détracteurs n’aient pas d’arguments. Si j’ai construit cette histoire de vengeance, c’est pour savoir s’ils sont capables d’en accepter une aussi abjecte plutôt que d’accepter une histoire d’amour. Si j’ai été aussi loin dans cette vengeance, c’est pour faire accepter mon personnage féminin et ce qu’elle vit. Ce film va être une vraie bataille et je suis prête à l’affronter."