Pour préparer Hellhole, son deuxième long métrage, Bas Devos a passé beaucoup de temps avec des jeunes de la Cité Modèle à Laeken, au nord de Bruxelles. Le metteur en scène explique : "Certains d’entre eux jouent un rôle important dans le film, nous y avons régulièrement répété leurs scènes. Dans la Cité, il m’est souvent arrivé d’engager la conversation avec d’autres habitants. La vie dans ces grandes tours résidentielles piquait ma curiosité. Il y a du chômage et de la pauvreté, mais aussi beaucoup d’énergie et de joie. Et de nombreuses vies ordinaires. Chaque porte, chaque appartement cache un univers, qui reste généralement invisible. Et ce sont les vies les plus invisibles de la cité, celles des mères des garçons, qui m’intriguaient le plus. Qui sont ces femmes, dont la plupart portent des voiles colorés, qui flânent dans la grande cour intérieure avant de disparaître dans l’ascenseur ? Quoi qu’il en soit, la place qu’elles occupent dans notre société est très précaire : à la fois personnes de couleur, souvent musulmanes et femmes."
Depuis son diplôme, Bas Devos a réalisé deux courts métrages, The Close et We Know. Son premier long métrage, Violet, a remporté le Prix du Jury à la Berlinale Generations 2014 et a été sélectionné pour New Directors New Films au Moma NY. Son deuxième long métrage, Hellhole, a été sélectionné au Panorama de la Berlinale 2019. Ghost Tropic est son troisième long métrage.
Avec Ghost Tropic, Bas Devos a voulu parler de cette génération de femmes sous-exposées et sous-représentées à Bruxelles. Il précise : "Le film vise également à en finir avec le caractère fragmentaire de mes deux films précédents. Après « Violet » et « Hellhole », j’avais envie de faire un film qui pourrait être considéré comme un instantané. En l’occurrence, le récit d’une seule nuit. Avec un bref épilogue à une autre époque et un autre endroit. Le temps se déroule de manière linéaire. Les scènes se succèdent de manière fluide. Et enfin, le point de départ de l’intrigue devait être un incident ordinaire, presque banal : une femme, Khadija, s’endort dans le dernier métro en rentrant de son travail et est forcée de traverser Bruxelles à pied en pleine nuit pour rentrer chez elle."
Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2019.
La totalité de Ghost Tropic se déroule pendant une nuit glaciale d'hiver, à l’exception de l’épilogue. Tandis que la plupart des gens s’enferment à l’intérieur d’une habitation éclairée et chauffée, Khadija erre dans les rues. Cette absence de lumière et de chaleur est évidemment intéressante sur le plan visuel. Bas Devos confie : "Les caméras numériques d’aujourd’hui nous permettraient parfaitement de voir dans l’obscurité grâce à leur photosensibilité énorme. Mais je veux que la nuit reste tangible comme une réalité écrasante et potentiellement menaçante pour cette femme. Dans ce film elle est très éloignée de sa zone de confort. Voilà pourquoi j’ai tourné ce film en 16 mm. Le grain qu’il fait apparaître rend l’obscurité presque vivante. En même temps, les instants éclairés pourront bénéficier de la douceur et de la chaleur de la pellicule."
Bruxelles est une composante essentielle de Ghost Tropic. Bas Devos considère cette ville comme un modèle réduit de notre société, où les oppositions sociales et culturelles s’affichent dans la rue. Il explique : "La triste beauté de Bruxelles est qu’elle ne peut pas être dissimulée. Les hommes en costume sur mesure doivent enjamber les sans-abris pour se rendre à leur travail dans le quartier Nord. Certains des habitants les plus pauvres vivent en plein centre-ville. Le plus souvent, la ville n’est toutefois que le décor de l’histoire. Dans ce film, c’est la traversée de la ville qui est porteuse de sens. Cette traversée en métro, en bus, en voiture et surtout à pied, est en même temps une traversée de la diversité extrême de toutes ces vies qui font de la ville ce qu’elle est. Bruxelles est mon foyer depuis près de 20 ans. La ville me reste pourtant toujours en partie inconnue. Comme si elle était insaisissable. Comme si elle flottait devant mes yeux, tantôt nette, tantôt floue."