Jean-Robert Viallet et Alice Odiot avaient réalisé un documentaire sur deux femmes qui étaient passées par la prison des Baumettes. C'est suite à cette expérience que ces deux journalistes marseillais ont eu envie de faire un film centré sur cette établissement carcéral très emblématique de la ville. La seconde se souvient :
"La première approche remonte à 2013 et dans un premier temps, on a été autorisés à observer les enquêtes sociales rapides menées dans les geôles du TGI de Marseille. Juste après la garde à vue, juste avant la comparution immédiate, il s’agit de vérifier la situation sociale du prévenu. Ils racontent leur vie en 20 minutes. Un concentré de misère, et d’abandon. Ils seront très nombreux à partir au bâtiment A des Baumettes, réservé aux prévenus. Ils attendront pendant des mois leur jugement définitif. Quand j’observais ces gens dans les geôles du TGI de Marseille, je m’interrogeais sur ce qu’ils allaient vivre après. On avait conscience que ce n’était là que le début de leur parcours."
Pour avoir les autorisations de filmer à l’intérieur d’une prison sur une certaine durée, Jean-Robert Viallet et Alice Odiot ont dû obtenir le soutien de plusieurs instances : la Justice, l’administration pénitentiaire ou encore le TGI de Marseille. Mais c'est celui de l’ancienne directrice des Baumettes, Christelle Rotach, qui a été le plus décisif : "Elle a eu envie de nous ouvrir les portes, de nous montrer son quotidien, les 8 000 entrées et sorties par an, elle avait envie de montrer aux juges ce dans quoi ils enfermaient les hommes et ce qu’elle avait à gérer après la sentence."
2012 : le contrôleur général des lieux de privation de liberté qualifie les conditions de détention de la prison des Baumettes à Marseille « d’inhumaines »
2013 : première demande de tournage
2015 : première fois à la prison des Baumettes Alice et Jean-Robert entrent pour 3 semaines à la prison, sans caméra ni micros
2016 : premier tournage
2018 : le tournage va se prolonger jusqu’en 2018 : fermeture de la prison des Baumettes en juin
Les JT et la presse écrite contiennent des reportages en prison, mais dans 98% des cas, ils sont très formatés parce que les temps des journalistes dans l'établissement sont très courts et très ciblés. Jean-Robert Viallet et Alice Odiot voulaient, au contraire, s'immiscer dans cet univers pendant 25 jours. "25 jours en prison, ce n’est pas grand chose pour un film, mais pour eux, c’était énorme. Ils nous disaient « on ne comprend pas ce que vous voulez », et on répondait « c’est normal, parce qu’on ne veut rien de spécial. On ne veut pas de dealeur des quartiers nord, on ne veut pas de casting préconçu, on veut entrer dans cette prison et y faire entrer le spectateur avec nous par les images, c’est tout ». Ce manque de demande précise, ciblée, les perturbait", se rappelle le premier.
A l'instar de célèbres réalisateurs de documentaires comme Frederick Wiseman ou Nicolas Philibert, Jean-Robert Viallet et Alice Odiot ont cherché à se mélanger avec l'univers de la prison jusqu'à ce que cette immersion les bouleversent. "Avant de nous donner les autorisations, on nous a laissés observer la prison en immersion pendant un mois, sans caméra. L’administration voulait nous tester, voir comment on circulait là-dedans, comment réagissaient les détenus… Ils ont vu qu’on savait s’intégrer dans un milieu particulier. Ensuite, à notre grand étonnement, il faut reconnaître qu’on a pu tourner avec une immense liberté", confient-t-ils.
Le film a été présenté à l'ACID au Festival de Cannes 2019.
Il y a des secteurs de la prison des Baumettes où Jean-Robert Viallet et Alice Odiot ne sont pas allés. C'est le cas du quartier disciplinaire où les détenus sont fous de rage dans leur cellule pendant une semaine. "Par choix, nous ne sommes pas allés filmer non plus dans le quartier des délinquants sexuels qui sont parqués à l’écart pour ne pas se faire massacrer par les autres détenus. On a concentré nos efforts sur le bâtiment central, le plus gros, qui concerne le tout-venant, les prisonniers pour des délits « classiques ». L’idée du film n’était pas de tout montrer et tout dire."
Jean-Robert Viallet et Alice Odiot ont fait le choix de monter quelques paroles de détenus en off en hommage au réalisateur et photographe néerlandais Johan Van Der Keuken. Ils expliquent : "J’aimais bien ça, ça permet une double lecture des personnages : on entend comment le discours et la pensée se construisent et on lit le visage à l’image. Son et image ne sont pas enregistrés au même moment et ça permet d’avoir accès en même temps à l’intériorité et à l’extériorité du personnage. Notre montage est celui d’un film sans personnage principal, sans histoire au sens de « il était une fois »… La réussite de cette écriture tient beaucoup au travail avec Catherine."
Des hommes s’intéresse aussi au personnel pénitentiaire, dont des femmes, qui essayent de faire leur travail avec humanité et respect. Alice Odiot note à ce sujet : "On a beaucoup filmé une jeune femme qui dirige le bâtiment B qui compte 546 hommes. Elle sait que si un détenu n’a pas son tabac pour le week-end, ça peut devenir un drame, un déchaînement de violence. Elle sait aussi que si on est pauvre et seul à l’extérieur, on l’est encore plus à l’intérieur. Cette femme cherche à ce que ça se passe le moins mal possible, elle se débrouille pour fournir du tabac un vendredi soir à un homme qui n’a plus d’argent. Un paquet de cigarettes dans la cour de promenade coûte 50 euros. Elle traite ces hommes avec humanité. Elle est face à leurs failles, leurs douleurs, leur solitude, et elle gère ça aussi."
Il existe un bâtiment pour les personnes vulnérables, le bâtiment C. C’est là que l’on enferme les détenus menacés de mort et les trisomiques et il n’y a personne pour surveiller ce bâtiment la nuit, faute d’effectifs (l'un des détenus "vulnérables" passant en commission de discipline dans le documentaire y est d'ailleurs rattaché). "Le lendemain, les surveillants ouvrent les portes en espérant que le sang n’ait pas coulé. Souvent, les chefs de bâtiment ont à gérer des hommes dont la place devrait être en hôpital, ou en soin. Moins il y aura de place et de moyens pour soigner les maladies mentales dont souffrent les marginaux qui se retrouvent enfermés en prison, et plus la récidive sera forte. Il faut soigner ces gens. La prison ne le peut pas", confient Jean-Robert Viallet et Alice Odiot.