Family Romance, LLC est présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2019.
Family Romance est une véritable agence de « rentaru furendo » (location de proches), qui prospère au Japon. Ce type d'agences propose à ses clients de louer les services d’acteurs pour interpréter une multitude de rôles pour quelques heures, une journée, un week-end, voire même plusieurs années. On peut ainsi louer un ami pour un mariage, un fiancé à présenter à ses parents ou un confident le temps d'une soirée. Fondée en 2009 à Tokyo, la société emploie 800 acteurs. Un même acteur n’est autorisé qu’à prendre cinq rôles en simultané. Se mettre dans la peau d’un nombre trop important de personnages serait source de confusion pour le comédien. Les faux couples n’ont pas l’autorisation de s’embrasser ni même de se retrouver seuls dans une pièce. Werner Herzog a décidé d'ajouter au titre la mention « LLC » (Limited Liability Company), pour que l'on comprenne qu'il s'agit avant tout d'un business.
Yuichi Ishii interprète son propre rôle dans Family Romance, LLC, celui d’un acteur du quotidien. Il est dans la vraie vie le fondateur de Family Romance, qu'il a nommée ainsi d'après le livre de Freud, Le
Roman familial des névrosés. C'est après avoir rendu service à une mère célibataire, qui avait besoin d'une figure paternelle pour inscrire son fils dans une école privée, que Yuichi Ishii a monté sa société.
À l'origine, Werner Herzog a fait appel à Yuichi pour apprendre toutes les ficelles de son business et pour qu'il l'aide dans le casting, le réalisateur souhaitant piocher parmi les 400 comédiens de l'agence. « Pendant le casting, Yuichi s’est placé derrière la caméra et a dirigé les acteurs dans leurs dialogues. Il était si doué que je lui ai proposé le rôle principal du film et il l’a accepté. Yuichi est une grande découverte ! »
Werner Herzog a découvert le phénomène des amis à louer grâce à un article publié dans le magazine américain The Atlantic, que lui a fait parvenir le producteur Roc Morin, qui est un ancien élève de son école, la Rogue Film School. Saisi par l'article, Herzog a encouragé Morin à en faire un film mais ce dernier hésitait. Herzog lui a alors demandé l'autorisation de le tourner lui-même : « Nous sommes ainsi convenus que j’écrirais le scénario et signerais la réalisation, tandis qu’il produirait ce film ».
Si le film s'inspire de faits réels et brouille les pistes, il s'agit bien d'une fiction. Pour Werner Herzog, il était évident qu'il devait y avoir des acteurs et une histoire structurée. Cependant, aucun des comédiens n'est professionnel : « Ce qui est frappant, c’est que tous sont si justes et authentiques dans leur jeu que même les critiques professionnels pensent que j’ai tourné là un documentaire. » De plus, les dialogues n’ont jamais été totalement écrits : le réalisateur indiquait seulement les grandes lignes des séquences aux acteurs.
Ce n'est pas la première fois que Werner Herzog travaille au Japon, il a mis en scène en 1997 la première mondiale de l’opéra Chushingura composé par Shigeaki Saegusa. Tout en se sentant étranger au Japon, il estime être capable d'en comprendre les fondamentaux : « Je n’avais pas besoin de comprendre la langue, je me sentais très à l’aise avec les dialogues. Je n’ai jamais eu de traduction simultanée dans les oreilles. Je tenais la caméra, j’étais proche de mes acteurs et je savais exactement quand ce qui se jouait était juste ou non ».
Le tournage s’est étalé sur deux semaines : la première, en avril, lorsque les cerisiers étaient en fleurs, et la seconde, en août, durant une canicule historique au Japon. Werner Herzog était à la caméra, parfois aidé au son par le producteur Roc Morin ou son fils Simon. Il n'avait que le strict nécessaire et ne possédait ni éclairage ni accessoires.
La séquence du train rapide à la fête foraine a été tournée sans autorisation et aucune répétition n'était possible, sans quoi l'équipe aurait été arrêtée par la sécurité. « Traditionnellement, un long-métrage de fiction suppose de tourner des centaines d’heures de rushes avec plusieurs caméras, mais pour Family Romance, LLC, j’ai tourné 350 minutes en tout et pour tout ! Je parle bien de minutes et non d’heures ! »
À la place du personnage de Mahiro, le réalisateur envisageait initialement un jeune garçon de huit ou neuf ans, ou deux frères. Lors du casting, un homme, qui est un médium connu au Japon et qui joue le confident de Yuichi dans le film, est arrivé accompagné de sa fille. Celle-ci est restée assise dans un coin de la pièce, avant de se voir proposer de passer des essais par Werner Herzog, qui raconte : « Le résultat était phénoménal et j’ai su instantanément qu’elle tiendrait le rôle féminin principal du film. […] Je ne fais ainsi aucune différence entre les acteurs professionnels et non professionnels. Ce qui compte est ce qui se voit à l’écran : une forte présence, une autorité, une intensité, une crédibilité. C’est ce qu’un metteur en scène est capable de percevoir ».