Le film est présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019.
Après des études de journalisme à la faculté d’Alger, Mounia Meddour obtient une Maîtrise en information et communication à Paris 8. En 2000 elle se forme au cinéma à La Fémis et à la production au Centre Européen de Formation à la Production de Films. Mounia réalise plusieurs documentaires : Tikjda : la caravane des sciences, Particules élémentaires, La Cuisine en héritage. Son documentaire Cinéma algérien un nouveau souffle s’intéresse aux jeunes réalisateurs de sa génération qui ont vécu la « décennie noire ». Son court métrage Edwige a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux et a remporté plusieurs prix. Son premier long métrage, Papicha, a été sélectionné au Festival de Cannes 2019 dans la section Un certain Regard.
La réalisatrice Mounia Meddour a fait toute sa scolarité en Algérie, puis une année de fac de journalisme pendant laquelle elle habitait une cité universitaire très proche de celle du film. "Au terme de cette année, alors que j’avais dix-sept ans, ma famille a décidé de quitter le pays. Les intellectuels étaient en première ligne. Mon père, lui-même cinéaste, avait subi des menaces, c’était le coeur de ce qu’on a appelé la « décennie noire ». Nous nous sommes installés en Seine-Saint-Denis où la mairie de Pantin avait facilité nos démarches et accueillait déjà beaucoup de familles d’artistes et d’intellectuels algériens. A mon arrivée en France, je me suis inscrite en Maîtrise d’information et communication, puis je me suis orientée vers le cinéma documentaire. J’ai eu la chance de suivre un stage d’été à La Fémis, cofinancé par l’Institut français d’Alger. Tout en continuant à faire du documentaire, j’ai tourné un premier court métrage de fiction, Edwige. Ensuite est né le projet de Papicha."
Tout ce que vivent les filles dans la cité universitaire du film, c’était bien le quotidien d’étudiantes algéroises à la fin des années 90, confie la cinéaste Mounia Meddour. "Y compris le mien. Avec l’intégrisme montant, l’oppression tout autour. Mais l’attentat dans la cité universitaire est un ressort dramatique de fiction. Comme la passion de Nedjma pour la mode qui prend une dimension symbolique : ce que les islamistes voulaient, à cette époque-là, c’était cacher le corps des femmes. Pour moi, la mode, qui dévoile et embellit les corps, constitue une résistance aux foulards noirs."
Voici la définition du « françarabe », un dialecte qu'on entend beaucoup dans Papicha : on prend un mot français et on « l’algérianise » et puis on mélange sans cesse les idiomes. Mounia Meddour voulait que le film ait ce rythme et cette richesse - car c’en est une ! -, et c’est une vraie spécificité algéroise. "Je voulais ancrer le film dans une ville que je connais et que j’aime, avec sa douceur de vivre paradoxale. Papicha est ainsi un mot typiquement algérois, qui qualifie une jeune femme drôle, jolie, libérée."
Au départ, Mounia Meddour tenait absolument à ce que son héroïne soit algérienne. Lorsqu'elle a rencontré Lyna Khoudri, elle a toute de suite été happée par sa force et sa fragilité. "Il y a chez elle cette innocence et cette fougue mais aussi une rigueur formidable et une exigence de vérité. En discutant avec elle, j’ai découvert que son histoire personnelle était proche de la mienne. Son papa était journaliste et sa famille a dû fuir l’Algérie dans les années 90. Elle a dû tout reconstruire comme moi. Je n’aurais pas pu trouver une comédienne qui comprenne mieux le personnage de Nedjma. Avec Lyna on a échangé, préparé et répété, peaufiné les détails et les dialogues même sur le tournage. On a construit et déconstruit les réactions et les émotions de Nedjma en créant des paliers émotionnels qui ont été très utiles puisque nous avions tourné les séquences dans le désordre."
Pour Mounia Meddour, il était naturel et primordial de tourner à Alger, la ville qui l’a vue grandir. L'équipe a tourné les scènes de cité universitaire à Tipaza, dans un complexe touristique construit par Fernand Pouillon : un lieu peu rénové, donc vide, dont la réalisatrice a pu redécorer le réfectoire et les chambres avec sa talentueuse chef décoratrice Chloé Cambournac. "On a aussi tourné à Alger, notamment dans la casbah, quand Nedjma se fait gentiment suivre par un garçon qui la drague avec beaucoup d’imagination. C’est ce qu’on appelle en Algérie un « hittiste », du mot arabe qui désigne le mur, parce qu’ils passent leurs journées adossés aux murs des maisons. Tourner en Algérie me permettait aussi d’ajouter une véracité presque documentaire : dans le bus, par exemple, quand j’ai vu arriver le receveur avec sa gestuelle singulière, ses pièces de monnaie qu’il faisait claquer entre ses doigts habiles et ses mains noircies, j’ai imaginé une scène autour de lui. J’aime fusionner la réalité et la fiction. Je voulais aussi le parler algérois qui est tellement vivant, créatif et souvent hilarant."
Mounia Meddour a décidé de filmer assez près des corps et des visages. Elle a beaucoup travaillé en amont avec son chef opérateur, Léo Lefèvre. La cinéaste voulait à la fois un film poétique et viscéral, immersif et organique. "Je savais qu’on aurait un plan de travail très serré, cinq semaines de tournage, six jours sur sept. Il fallait déterminer précisément ce qu’on voulait tourner : un film sur la pulsion de vie à la mise en scène fiévreuse. Etre du point de vue de Nedjma, découvrir les autres personnages à travers elle, donc avoir cette caméra proche d’elle, qui épouse chacun de ses mouvements, lorsqu’elle coud, lorsqu’elle cherche, lorsqu’elle trouve… Pour les scènes chorales, on avait un plan au sol avec les déplacements de chacune des filles."
Ce qu’on a appelé la « guerre civile algérienne » ou la « décennie noire » est le conflit qui a opposé le gouvernement algérien à divers groupes islamistes armés à partir de 1991. On dénombrera à son terme plus de 150 000 morts, des dizaines de milliers d’exilés, un million de personnes déplacées. Historiquement, ce conflit trouve sa source dans les difficultés économiques de la fin des années 80, liées à la chute du prix du pétrole – la principale ressource du pays. En octobre 1988 éclatent des émeutes qui réclament de meilleures conditions de vie et l’ouverture démocratique. Le gouvernement issu du parti unique de l’époque, le FLN y consent. Plusieurs partis se créent. En décembre 1991, le Front islamique du salut (FIS), est sur le point de l’emporter aux législatives. Son projet : instaurer un régime islamique.
Le pouvoir en place réagit en annulant le deuxième tour des législatives et en interdisant le FIS. Sur ses décombres nait le Mouvement islamique armé (MIA) qui donnera naissance au Groupe Islamique Armé (GIA) et à l’Armée islamique du salut (AIS). Assassinats, enlèvements, ces deux mouvements terrorisent la population civile – tout en se faisant aussi la guerre entre eux. La peur transforme en profondeur les moeurs de la société algérienne. L’escalade de la violence trouve son apogée en 1997 avec les massacres perpétrés par le GIA à Raïs en août et à Bentalha, en septembre. Cette stratégie du massacre divise au sein même du GIA, dont certains membres iront fonder le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) qui deviendra le futur Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). La première élection à la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, marque la fin du conflit : des lois sont promulguées amnistiant aussi bien les combattants du GIA que les militaires ayant répondu à la violence par la violence. Bouteflika agitera longtemps le spectre de la guerre civile, s’auto-proclamant seul rempart au désordre en Algérie.