Le phénomène de l'addiction au crack en Iran, au centre de La Loi de Téhéran, est très peu connu du public occidental. Le réalisateur Saeed Roustayi explique : "Ces dernières années, la toxicomanie a changé de visage en Iran. Elle est sortie de la clandestinité pour se révéler au grand jour. De plus en plus de toxicomanes sont visibles dans la rue. Leur dépendance à une nouvelle substance, le crack, les a mis à la rue de façon beaucoup plus massive et plus rapide que ne le faisaient les autres drogues. A force de voir ces personnes, j'ai eu l'idée de tourner un documentaire sur elles et j'ai entrepris des recherches. Finalement, ce documentaire-là ne s'est jamais tourné, mais cela a influencé mes films de fiction."
Né en 1989 à Téhéran, Saeed Roustayi sort diplômé en réalisation de la Soureh Film University. Il réalise dans un premier temps trois courts métrages, puis un documentaire très remarqué, couronné de plus d’une centaine de prix. Son premier long métrage, Life And A Day (2016), reçoit les neuf principaux prix du w à Téhéran, le plus important festival iranien, ainsi que les prix majeurs de l’Annual Iranian Film Awards et de l’Annual Iranian Film Critics Award, et dans divers festivals internationaux.
Pour commencer sa recherche, Saeed Roustayi a passé plusieurs jours à la brigade des stupéfiants, puis en prison et au tribunal. Une immersion qui a permis au metteur en scène de mieux comprendre la situation des toxicomanes inculpés, mais aussi de rencontrer des policiers et un juge dont les conseils ont été précieux. "Cette recherche a duré presque un an, car je voulais être au plus près de la réalité des faits que je décrivais dans mon film", se rappelle-t-il.
Après Life and a day, son premier long métrage, Saeed Roustayi retrouve les comédiens Payman Maadi et Navid Mohammadzadeh. Il confie à leur sujet : "Payman Maadi et Navid Mohammadzadeh sont des acteurs particulièrement intelligents et puissants. En termes de mise en scène et de jeux d'acteurs, j'ai déjà une idée en tête lorsque j'écris le scénario. Une fois que les décors sont choisis ou construits, que mon découpage se précise, ces idées mûrissent et au tournage, je tiens absolument à les mettre en application telles quelles. Pour moi, tous les moyens sont bons pour y parvenir Payman et Navid sont des alliés très efficaces dans cette démarche."
La Loi de Téhéran oscille entre le polar et le film de procès, le cinéma de genre et comportementaliste. "En tant qu'artiste, je ne fais pas le choix de faire un film de genre ou d'en adopter les codes. Peut-être aurai-je le désir de tenter cela un jour, mais je ne l'ai encore jamais fait. Je crée mon scénario et mon film sans me poser ces questions. C'est a posteriori que ce type de classification se fait. Ce qui est certain, c'est que cette dimension dramatique ou de suspens, ou proche de tel ou tel genre, provient de la force de l'histoire découlant directement de la réalité", raconte Saeed Roustayi.
"Chaque jour, ce sont plus de 10 tonnes de drogue qui sont consommées en Iran ! Comment se fait-il qu’il y ait de plus en plus de toxicomanes, malgré toutes les condamnations à mort et les peines à perpétuité ?Comment se fait-il que la police ne puisse pas arrêter tous les parrains de la drogue une fois pour toutes ? Comment se fait-il que n'importe qui puisse se procurer de la drogue n’importe où et en moins de 3 minutes ?"
Saeed Roustayi a dû faire face à la censure iranienne. Le réalisateur a ainsi été contraint d'apporter des modifications au scénario, ce qu'il a refusé. Il a alors entamé une longue négociation de sept mois, pour ne concéder finalement que de petits changements ne nuisant pas à la véracité du récit. Il se rappelle : "Ce film était considéré comme indésirable, nous avons subi des pressions. Une fois qu'il a été tourné, c'est la brigade des stupéfiants qui a cherché à empêcher sa sortie. Ses représentants estimaient en effet que leurs efforts n'étaient pas assez représentés dans le film. Notre position a été de dire que nous ne réalisions pas un film de commande à la gloire de la police, mais que nous nous intéressions à des êtres humains, toxicomanes, trafiquants ou policiers."
La Loi de Téhéran est devenu un des plus gros succès populaires en Iran. Saeed Roustayi explique ce succès de part le réalisme de son film : "Je considère que certains des films qui sont tournés avec une prétention sociale ne contiennent aucune vérité sur la société. (...) Pour ma part, je connais vraiment les groupes que je donne à voir, j'ai fait des recherches et réalisé des documentaires sur eux. Il me semble que lorsqu'un spectateur perçoit une proximité avec la réalité dans un film, il incite les autres à aller le voir. La meilleure publicité pour un film en Iran est le bouche-à-oreille. Ce n'est pas tant la télévision qui incite les gens à aller voir un film que l'avis de leur entourage. Le succès de mon film vient donc de sa véracité, et du processus d'identification qu'il suscite auprès du public."