Né en 1968, Veit Helmer a réalisé son premier film à 14 ans. Avant que le mur de Berlin ne tombe, il s’est installé à Berlin Est pour étudier la mise en scène de théâtre. En 1991, il est parti étudier à l’école de cinéma et de télévision de Munich. Après avoir remporté de nombreux prix pour ses courts-métrages, Veit passe au long métrage en 1999 avec Tuvalu. En 2003, il réalise Gate to Heaven avec Miki Manojlović et Udo Kier qui se situe dans les souterrains de l’aéroport de Francfort. Il s’attaque pour la première fois au documentaire avec Behind the Couch en 2005, traitant des castings à Hollywood. En 2008, le cinéaste présente Absurdistan au festival de Sundance. Son film suivant, Baikonour, sorti en 2011, se situe précisément sur la base spatiale du Kazakhstan. En 2014, Veit met en scène le film pour enfants Bande de Canailles. Ramené à l’ensemble de sa filmographie, Veit Helmer a gagné à ce jour plus de 180 prix. Il enseigne par ailleurs la narration dans de nombreuses écoles internationales de cinéma.
Un quartier atypique de Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, est à l’origine de du film de Veit Helmer. Les voies ferroviaires sont construites tellement près des habitations qu’elles font office de rues et d’aires de jeux pour les enfants. La vie s’organise sur les rails, là où les trains pétrolifères passent plusieurs fois par jour. Les habitants appellent leur quartier « Shanghai » alors qu’il n’y a évidemment aucun rapport avec la Chine. "Ce décor m’a inspiré cette histoire de conducteur de train solitaire. À l’issue de ses journées de travail, il restitue à ses propriétaires les objets que son train arrache sur son passage. Juste avant de partir à la retraite, il trouve un soutien-gorge. Mon film raconte l’audacieuse quête de sa propriétaire."
L’Azerbaïdjan fascine le réalisateur Veit Helmer. Le pays est perdu quelque part entre l’Europe et l’Asie, sur l’ancienne route de la soie. Malgré son éloignement de la Russie, l’Arménie ou l’Iran, c’est un endroit où différentes cultures et religions se rencontrent. Les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs cohabitent en paix. "Pendant des années, j’ai voulu filmer à Khinalug, l’endroit le plus élevé et désert d’Europe. Mais c’était avant que je ne découvre le quartier de « Shanghai ». L’idée de rassembler les deux lieux à l’intérieur d’un même récit s’est imposée. J’avais déjà été avisé en 2014 de la démolition prochaine du quartier. En 2017, nous avons obtenu les financements pour le film et j’ai pu tourner dans cette banlieue, juste avant qu’elle ne soit effectivement détruite."
Les dialogues constituent un mode de narration totalement non cinématographique, selon le cinéaste Veit Helmer. "Le cinéma passe essentiellement par la pure mise en scène des images et du son. En tant que réalisateur, il ne s’agit pas simplement de soustraire les dialogues du scénario car si l’on procédait de cette manière, le sens de l’histoire serait perdu. Les films qui ne recourent pas aux dialogues doivent être conçus de manière bien spécifique. Cela exige de passer beaucoup de temps sur le scénario. Je pense cependant que le résultat relève d’une expérience unique pour le spectateur."
Pour Veit Helmer, le dialogue est la méthode plus simple – pour ne pas dire, la plus basique – de raconter une histoire. "Alfred Hitchcock disait que les dialogues étaient comme du théâtre filmé. Pour pallier à cela, il faut passer par un mode de narration visuel. À cela s’ajoute le fait qu’un film en langue étrangère s’exporte mal. Le doublage et les sous-titres ne sont pas satisfaisants d’un point de vue artistique et parfois, il peut y avoir des décalages terribles. Les réalisateurs travaillent pendant des années sur un scénario, mais aussi sur le tournage et le montage, afin de peaufiner le son. Mais dans beaucoup de pays, on plaque plus tard une voix off sur les images qui écrase cette bande son", déplore le metteur en scène.
Selon Veit Helmer, si l’on ne veut pas se compliquer l’existence, on peut poser de la musique sur à peu près n’importe quelle séquence d’un film sans dialogues. "Mais les spectateurs ne sont plus transportés par l’histoire quand il y a trop de musique. Regardez la télévision par exemple. La musique est d’autant plus précieuse quand on l’utilise avec parcimonie. J’ai découvert les compositions de Cyril Morin pour la première fois avec les films Samsara et La fiancée syrienne. Quand on a posé la première version de la partition, nous avons été surpris de constater que les sons de l’Europe de l’est et ceux de l’Orient ne se mariaient pas. Tout simplement parce que les images avaient déjà posé le fait que l’histoire se déroulait dans un endroit atypique. Il était donc plus important de mettre l’accent sur les sentiments et les émotions des personnages. C’est pourquoi j’ai déterré de vielles chansons pop d’Azerbaïdjan, que l’on entend à la radio ou sur la platine disque, pour accompagner les personnages féminins."
Veit Helmer et son équipe n'avaient aucune chance d’obtenir une autorisation de tournage dans le quartier de « Shanghai ». Le gouvernement de Bakou démolit les vieux quartiers pauvres de la ville. À la place, ils construisent des gratte-ciels. "J’ai rencontré une profonde incompréhension de la part des autorités quand je leur faisais part de mon intérêt pour la banlieue pittoresque de « Shanghai ». Mon producteur a essayé de donner des pots de vin à l’officier en charge du secteur. Sans succès car la police des chemins de fer est aussi en charge du quartier. Le tournage a été arrêté et on m’a dit d’aller tourner ailleurs en des termes très douteux. Sauf que c’était impossible, compte tenu de la nature du projet. C’est pourquoi j’ai continué à filmer sans autorisation, ce qui a provoqué le départ de mon producteur de Bakou et d’une partie de l’équipe. Nous devions souvent arrêter de filmer car la police menaçait mon équipe. Pendant plusieurs semaines, nous avons tourné à la manière d’opposants au régime. Une fois que nous avons mis en boîte toutes les scènes en extérieur, nous avons déplacé le tournage en Géorgie. Là, nous avons pu finir le film tranquillement et filmer dans les trains, ce qui était interdit en Azerbaïdjan", se souvient le cinéaste.
Toutes les scènes avec les acteurs ont été improvisées sur le tournage. Certains appréciaient beaucoup de jouer sans dialogues et le vivaient comme un défi et même, comme une démarche libératrice. "Pendant les sessions de casting, c’était une évidence que ce type de rôle ne convenait pas à tous les acteurs. Une fois que j’ai trouvé tous mes interprètes, je suis heureux de leur confier l’entière responsabilité de leurs personnages. Je n’interviens que si c’est nécessaire ou s’ils me le demandent", explique Veit Helmer.