Le projet est né suite à la rencontre des réalisateurs Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou avec Brian Ritchie, le personnage principal du film, en 2013 (lors de leur premier séjour dans le Kentucky). Ils se rappellent :
"Au départ, comme la plupart des gens, nous ne faisions que passer… Un soir, nous faisons une pause dans un dîner en bord de route. Il est clair que notre présence détonne par rapport au reste des habitués, et c’est là que Brian vient à notre rencontre et nous adresse pour la première fois la parole, de son air amusé et désinvolte, un peu provocateur : « bon alors, qu’est-ce que vous foutez là, en fait ? ». Nous étions encore loin d’imaginer que c’était le point de départ d’une aventure de près de sept ans. C’était une de ces rencontres qui semblent le fruit du hasard, mais rétrospectivement on se rend compte qu’il n’en est rien. Pour plusieurs raisons, la connexion entre nous a été immédiate, et très vite Brian nous a proposé de nous faire découvrir « le vrai Kentucky »."
L’est du Kentucky est une zone rurale reculée, dont l’organisation sociale se tisse autour de clans familiaux. Cette région a toujours entretenu un rapport très particulier vis-à-vis du reste des Etats-Unis, cultivant un esprit d’indépendance et une volonté d’autosuffisance forte. Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou précisent : "Ce que le reste des États-Unis leur rend bien, puisque les autres Américains appellent ceux qui y vivent « hillbillies ». Un mot très péjoratif signifiant « ploucs » ou « bouseux », littéralement « péquenaud des collines »."
Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou ont été frappés par la manière dont Brian Ritchie s’empare de cette insulte pour la reprendre à son compte, et mener une réflexion sur l’histoire et la culture de cette région. "Bien sûr il y a la volonté d’assumer quelque chose face à l’insulte elle-même, mais son geste va au-delà de la provocation : Brian part de ce mot pour dessiner son identité et interroger les stéréotypes qu’il véhicule", confient-ils.
Le film a fait partie de la Sélection ACID au festival de Cannes 2020.
Brian s’est très vite imposé comme un personnage de cinéma. D’abord grâce à la précision de sa pensée sur l’univers qui l’entoure, mais aussi sa manière de parler : "Cette voix, cette inventivité verbale, ce tempo, qui nous ont beaucoup inspirés. Il est aussi capable de déverser une colère désabusée et lucide, dans un langage étonnamment calme et précis. Brian déconstruit vos préjugés juste par sa façon d’être et de parler… parfois alors même qu’il fait mine de les confirmer ! C’est paradoxal, nuancé... Captivant. Créer une œuvre cinématographique autour de lui et avec lui a été particulièrement passionnant. Nous voulions inviter le spectateur à partager cette expérience, à habiter le monde intérieur de Brian, et à traverser, dans ses pas, son univers, le temps d’un film", précisent Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou.
Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou ont opté pour un format 1.33 permettant de casser les représentations stéréotypées issues du western et ses grandes étendues. Ils expliquent : "Nous ne voulions pas céder à la démesure que le paysage semble appeler, et rester très proches des personnages. Si notre film entretient un lien avec le western, c’est sous une forme minimaliste et crépusculaire – et non sous sa forme iconique, spectaculaire au point de nous empêcher de voir le reste. Nous avons voulu renforcer ce parti pris en optant pour un champ colorimétrique axé sur les couleurs primaires, dont nous avons ensuite accentué les contrastes. Nous visions une beauté visuelle mais un peu « dure »."
La première partie – Under the Family Tree – traite de l’importance du clan familial, sur lequel pèse une sourde menace, car ce qui se passe à l’extérieur (dans les collines et ailleurs dans la société ou dans le monde) contamine l’intérieur de la cellule familiale.
La deuxième partie – The Wasteland – évoque ceux qui, comme Brian, ont fait le choix de rester dans cette région, qui endurent son âpreté, la voient décliner et continuent néanmoins à s’accrocher à leur mode de vie.
La troisième partie – Land of Tomorrow – montre les enfants, jusqu’ici présents en arrière-plan, s’emparent du film. Petit à petit, ils en viennent à occuper le devant de la scène. Ils s’imposent par leur candeur et leur pulsion de vie qui contrastent avec l’asthénie de Brian, de plus en plus dévoré par un sentiment de défaite. Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou précisent :
"Nous voulions qu’il leur cède la place, qu’il devienne une silhouette muette et erratique, un simple fantôme qui hante les lieux. Nous tenions beaucoup à finir sur les enfants. Sur leur présence et leur énergie, mais aussi sur une chose que nous avons viscéralement ressentie tout le long du tournage : l’appel à l’aide d’un enfant, héritier d’un monde en ruines qu’il devra réinventer."