Le réalisateur Suhaib Gasmelbari est né en 1979 au Soudan. Il a étudié le cinéma en France à l’Université Paris 8 et écrit, réalisé plusieurs courts métrages, fiction et documentaire. Talking Abiout Trees est son premier long métrage. Il est également chercheur et s’intéresse particulièrement aux archives audiovisuelles. Grâce à ses recherches, il a pu retrouver des films soudanais perdus de longue date et participer activement à des projets internationaux et locaux de sauvegarde et de numérisation de films soudanais, notamment ceux d’Ibrahim Shadad, Suleiman Mohamed Sultan Mahdi et Altayeb Mahdi.
Il y a eu plusieurs phases avant le lancement du projet Talking About Trees. "Au départ, il y a mon intérêt pour leurs films et pour leurs écrits critiques – car ils avaient créé une revue de cinéma dans les années 70-80. En retournant au Soudan, je voulais faire un film de fiction, mais c’était impossible sans compromis avec le régime et j’ai donc abandonné ce projet là. Ensuite, j’ai rencontré Suleiman qui m’a présenté à ses amis du SFG. Je les ai accompagnés pour les projections qu’ils organisent dans les villages. Une fois, le van est tombé en panne, comme ça se produit très souvent, mais nous sommes quand même arrivés au village. Une tempête de sable est survenue, mais ils ont installé leur écran, comme si de rien n’était. La projection a démarré alors que la tempête s’intensifiait, l’écran gonflait, bougeait, l’image sortait du cadre et y revenait, alors que les quatre essayaient de stabiliser le dispositif. Pendant tout ce temps, les spectateurs avaient le regard rivé sur l’écran, indifférents à la tempête, ce qui racontait leur envie absolue de cinéma. C’était épique. De ce moment est né en moi la nécessité de faire ce film. Ce n’était pas seulement pour montrer l’histoire oubliée des cinéastes soudanais mais aussi pour montrer comment s’écrit ou pas l’Histoire", confie le cinéaste Suhaib Gasmelbari.
Filmer les 4 cinéastes Ibrahim, Suleiman, Manar et Altayeb) était une des difficultés de la mise en scène. "J’ai mis du temps à appréhender leurs rythmes, leurs mouvements. Avec le temps, s’est installée une chorégraphie entre eux quatre. Une fois que j’ai compris ça, c’était plus facile, je pouvais anticiper leurs entrées ou sorties du cadre, lequel serait moteur du groupe, etc. Ils m’ont presque intégré dans leur groupe !", déclare Suhaib Gasmelbari.
Le réalisateur Suhaib Gasmelbari s’inspire d’un cinéma qui n’entretient pas de rapport de séduction malsaine avec le spectateur, qui fait confiance à son regard. "Par exemple, je n’ai pas mis de musique, ce qui est complètement intentionnel. J’ai préféré chercher la musique interne du film. Je voulais un film fidèle à ses personnages, à leur rythme, à la vitesse de leur pensée, de leurs déplacements, de leur façon d’être au monde. C’est aussi un film sur des espaces abandonnés, sur un paysage que l’état a essayé d’effacer. Enfin, je voulais m’inscrire dans le regard de ces cinéastes montreurs de films. Si on suit les infos au Soudan, il y a chaque jour des nouvelles qui poussent à la dépression – hier, des jeunes ont été massacrés et jetés dans le Nil. J’ai essayé d’évacuer cette part anxiogène de la réalité soudanaise qui peut rendre fou. Je ne voulais pas faire honneur au pouvoir en lui consacrant du temps de mon film, je voulais préserver la lenteur contemplative de mes personnages, leur espace de réflexion, leur bulle de dignité. C’est comme ça aussi qu’ils se sont protégés. Quand Ibrahim raconte l’épisode où il a été arrêté, il ne décrit pas la torture mais les détails de la cellule où il était enfermé : ça résume son éthique du regard et sa façon de résister aux horreurs qu’il a vécues", explique le metteur en scène.
Talking About Trees est consacré à quatre personnes qui ont subi tout le poids et les entraves d’un état répressif. "Ces personnes, et mon film, essayent de repousser la présence de cet état hors champ, non par peur, mais pour ne pas lui donner trop de prise et d’importance. Je ne voulais pas faire un film “sur la situation au Soudan”, mais la révéler par petites touches en montrant son aspect kafkaïen. Aussi, j’ai mis peu d’indications politiques ou historiques sur le Soudan, me gardant de toute dénonciation frontale ou larmoyante. Déjà, rien que le geste de faire ce film, c’était s’engager, combattre. On filmait sans autorisation, on jouait avec les doutes du pouvoir et de la police, on restait flou sur les intentions du film. De manière plus globale, l’erreur de l’opposition soudanaise a été selon moi de croire que la situation changerait en informant le monde, mais le monde s’est habitué à la situation soudanaise. Exaspéré, le peuple soudanais a réalisé que les puissants réagissent seulement aux enjeux économiques et non aux atrocités commises par un dictateur. La réalité soudanaise a alors évolué grâce au courage de millions de femmes et d’hommes et non par les milliers de reportages des médias internationaux", dénonce Suhaib Gasmelbari.
Suhaib Gasmelbari a travaillé avec la monteuse française Nelly Quétier. "C’était une vraie chance, parce qu’on a le même goût pour un cinéma patient, contemplatif. Parfois, elle réduisait ma tendance à une contemplation excessive par des ajustements toujours très précis. C’était magnifique parce que Nelly est tout de suite tombée “amoureuse” des quatre personnages qu’elle voulait tous dans le cadre mais ça, c’était difficile ! Et puis, on a tout de suite senti que ce film n’aurait pas besoin de musique mais d’écoute. La phase de montage a été une confirmation de mes intuitions au tournage. Il était important de les regarder regarder. Certains spectateurs ont remarqué que je filmais beaucoup le crâne d’Ibrahim, c’est parce que je voulais me positionner dans la ligne de son regard à lui."