Pour Waad al-Kateab, Pour Sama n’est pas seulement un film, c’est le récit de sa vie. Comme tant d’autres activistes, la réalisatrice a commencé à filmer les manifestations syriennes sans aucun projet en tête. Elle explique : "Je n’aurais jamais pu imaginer où cela me mènerait au fil des années. Toutes les émotions que nous avons vécues - la joie, la perte de nos proches, l’amour - et les crimes commis par le régime d’Assad contre des innocents ordinaires étaient impensables, inimaginables… Dès le début, j’ai voulu témoigner et montrer l’humanité qui subsistait autour de nous, plutôt que la mort et la destruction qui ne cessaient de faire la une des médias. En tant que femme dans un quartier conservateur d’Alep, j’ai pu voir et raconter comment les femmes et les enfants d’Alep vivaient, ce qui aurait été impossible pour un homme. Cela m’a permis de montrer le quotidien des Syriens qui essayaient malgré tout de mener une vie normale tout en luttant pour leur liberté."
En même temps, Waad al-Kateab a continué à vivre sa propre vie. Elle s'est mariée et a eu un enfant. La cinéaste a assumé plusieurs rôles différents : Waad la mère, Waad témoin de cette guerre, Waad la journaliste et Waad la réalisatrice. "Je pense que ces différentes facettes de mon histoire font la force du film. Bien que Pour Sama retrace mon histoire et celle de ma famille, notre expérience n’est pas unique. Des centaines de milliers de Syriens ont vécu la même chose et vivent encore dans ces conditions aujourd’hui. Le dictateur qui a commis ces crimes est toujours au pouvoir et tue encore des innocents. Notre lutte pour la justice est toujours d’actualité. J’ai ressenti une grande responsabilité envers ma ville, ses habitants et nos amis : il fallait que je raconte leur histoire afin qu’elle ne soit jamais oubliée et que personne ne puisse déformer la réalité de notre vécu", confie-t-elle.
Le film a été présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2019.
Pour Waad al-Kateab, la réalisation de Pour Sama a été presque aussi difficile que ses années passées à Alep : "J’ai dû revivre encore et encore ces moments terribles. Heureusement, j’ai eu la chance de travailler avec une équipe formidable qui s’intéressait à moi, à mon histoire et à la Syrie. C’était le cas notamment d’Edward Watts, qui a réalisé avec moi ce film. Il a su intérioriser le fardeau que je portais en moi. Ensemble, nous avons pu puiser dans la complexité de mon vécu l’histoire que vous voyez aujourd’hui", se rappelle-t-elle.
Edward Watts, qui a co-realisé Pour Sama avec Waad al-Kateab, s'est intéressé au soulèvement syrien dès son commencement, en essayant de raconter la vérité au-delà des mensonges et de la propagande. Le réalisateur raconte : "La réalité de ce qui s’est passé en Syrie s’incarne dans le courage, l’honnêteté et l’altruisme de Waad, Hamza et Sama. Ce sont des gens extraordinaires. Ils sont un exemple pour nous tous en ces temps de grand tumulte. Dans mes documentaires, j’ai toujours cherché à mettre en valeur l’humour et l’humanité que nous partageons avec des personnes vivant dans des situations désespérées aux quatre coins du monde. C’est cette vérité qui nous sauvera, pas les fausses vérités que tant de gens colportent aujourd’hui. Nous n’avons pas su nous tenir aux côtés des Syriens alors qu’ils manifestaient pour leur liberté et qu’ils étaient brutalement écrasés par le régime de Bachar al-Assad. Cela a conduit à de nombreux problèmes, notamment à la naissance de l’État Islamique, mais aussi à la poussée de l’extrême droite, à la crise des réfugiés et à la normalisation des attaques contre les populations civiles en temps de guerre."