Si j’écris cette critique, c’est en premier lieu pour tenter de mettre les mots sur une injustice. En mai dernier, à Cannes, « Black Flies » a reçu des critiques littéralement assassines de la part de la critique presse, qui s’est totalement déchaînée sur le film, à un niveau de violence d’une indignité totale (la critique de Libération est particulièrement abjecte…). Tant et si bien qu’avant même de sortir, Black Flies traînait une réputation houleuse qui compromettait ses chances de trouver son public. J’ai moi-même hésité avant d’aller voir le film du fait de cette réception absolument catastrophique. On a beau y être souvent exposé, on ne s’habitue jamais vraiment à se trouver totalement à l’opposé de la critique presse. Car Black Flies est un très beau film, et si vous étiez comme moi hésitant, je vous invite tout de suite à interrompre la lecture de ma critique pour foncer voir le film. Celui-ci raconte l’histoire de deux ambulanciers, le jeune et inexpérimenté Cross et son collègue Rutkovsky, et suit leurs longues nuits de traversée de New York, où ils vont être confrontés à la violence et au désespoir le plus total. Ce qui est très appréciable dans la démarche de Jean-Stéphane Sauvaire, dont c’est le premier film que je vois, c’est que la violence n’est jamais montrée de manière complaisante, contrairement à ce qu’on peut lire dans certaines critiques. Il filme ces hommes dans leur travail, de manière précise, avec de longs travellings et des plans qui suivent le mouvement ou le regard des personnages. Il ne nous épargne rien de la violence qu’ils rencontrent, mais s’il le fait, c’est par une volonté de décrire ce milieu de manière documentaire, ce qui nous permet de vivre une plongée fascinante et haletante dans le quotidien des personnages. On s’attache très vite à ces deux hommes, que tout oppose au départ, mais entre lesquels va se construire une très belle histoire d’amitié, marquée au fer rouge et mise à l’épreuve au cours d’une véritable descente aux enfers. A ce titre, le film est très bien écrit et construit et offre de multiples rebondissements qui nous happent et nous emmènent parfois même dans le domaine du thriller. Les acteurs sont excellents et portent le film, notamment le duo de tête mené par le très prometteur Tye Sheridan, impressionnant et habité par le personnage de Cross, et le très grand Sean Penn, dont c’est probablement le meilleur rôle depuis de nombreuses années. En plus de cela, le film est un très bel hommage au métier d’ambulancier, métier magnifique mais rendu impossible par des conditions de travail éprouvantes, où les injures et la violence sont monnaie courante, ce qui est très bien montré dans le film. Je vous invite d’ailleurs à rester jusqu’à la toute fin du film, où un carton nous explique très bien tout cela avec des données factuelles absolument terrifiantes. Certaines critiques ont osé qualifier le film de réac… Encore une fois, on marche sur la tête. On pourra bien sûr reprocher au film quelques défauts, notamment une symbolique religieuse un peu lourde, et un final où la dichotomie désespoir/espoir est un peu trop appuyée, mais l’un dans l’autre, le film réussit surtout lorsqu’il reste simple, et nous fait vivre des émotions tout ce qu’il y a de plus humaines comme l’amitié, la douleur, le remords… Black Flies est donc un très bon film américain, qui mérite bien mieux que l’étiquette sulfureuse et idéologique que les critiques veulent lui accoler, et qui ne correspond pas du tout au propos du film. Libre à chacun d’aimer ou de ne pas aimer bien sûr, mais il me paraît important de rappeler que l’argumentation est la base de toute critique constructive, et que l’on peut débattre d’un film intelligemment sans faire preuve de violence, ce qui semble malheureusement difficile à Cannes depuis déjà longtemps…