C’est en voulant évoquer la solitude et la façon dont on peut se réapproprier la vie que Ludovic Bergery a conçu L’Étreinte : « J’ai écrit ce scénario comme une somme d’impressions qui finit par composer un visage, un personnage. Cette exploration du domaine du ressenti pour se reconnecter à l’existence est moins basé sur une dramaturgie que sur une sensibilité ».
Pour évoquer la cause du vide éprouvé par son héroïne, le réalisateur a choisi le deuil, auquel il a lui-même été confronté très jeune : « Ce rapport à la mort, aux fantômes et à l’absence m’est très personnel ». Il précise : « je trouvais plus fort d’imaginer qu’elle a vécu avec un homme malade, avec l’idée de la mort qui s’approche et va inexorablement arriver. »
Pour son premier long-métrage, Ludovic Bergery a choisi d’adopter le point de vue d’une femme. Une évidence selon lui : « Peut-être parce que j’ai une façon très féminine d’aborder le sentiment et le rapport au corps… Eprouvées par une femme, il me semble surtout que cette détresse et cette solitude sont d’emblée plus âpres, aiguës. Le temps qui passe et le fait de vivre seul sont des poids plus lourds à porter pour une femme car l’intimité des femmes est davantage exposée au contexte social. »
Il était important pour le réalisateur de ne pas montrer son personnage principal comme victime de sa solitude. Il voulait montrer une héroïne qui se confronte au réel, aussi difficile soit-il : « Margaux n’est pas épargnée par les situations qui se présentent à elle, mais elle y va, de manière très frontale. […] Margaux est une femme qui cherche. Et qui se cherche, et qui cherche les autres. Elle assume la confrontation, elle se livre à un duel avec le réel durant lequel beaucoup de portes lui sont fermées ».
Ludovic Bergery n’a pas peur de filmer le silence qui a selon lui « quelque chose de très particulier et je trouve que cette suspension du temps n’est pas assez souvent filmée au cinéma. Il y a des gens avec lesquels on peut être silencieux et d’autres avec lesquels on ne peut pas. C’est un bon test, d’ailleurs ! »
Le personnage de Margaux entreprend des études de littérature allemande. Le réalisateur explique les raisons qui l’ont poussé à choisir ce domaine en particulier : « Parce que Thomas Mann, Tonio Kruger, l’ambiguïté, l’ambivalence, le rapport humain… Il y a quelque chose de délicatement frontal dans la littérature allemande. Till, le professeur que rencontre Margaux, est spécialiste de Kleist. Pour moi, Kleist c’est Le prince de Hambourg, Penthésilée, les femmes, la cruauté romanesque... »
Ludovic Bergery ne tarit pas d’éloges quant à sa comédienne principale : « Je suis conscient de la chance que j’ai eue de collaborer avec une comédienne qui compte tellement dans le cinéma français et a joué dans d’immenses films qui m’ont toujours accompagné. […] Il y avait un lien très fort de confiance entre nous, elle m’a beaucoup donné. Emmanuelle est entière, elle n’est pas du tout dans la posture. C’est une actrice incarnée et extrêmement généreuse. Je ne voulais pas pour autant rendre les choses spectaculaires. Je voulais aussi de la retenue, de la tendresse et une forme de pudeur, même dans les situations dures ».
Fait rare, l’actrice a accepté le film sans avoir lu le scénario, convaincue après sa rencontre avec Bergery : « Ce qui m’a séduite dans la manière dont Ludovic me parlait du film, c’est que j’aurais pu l’appeler "un moment d’absence". D’absence à soi-même, et donc à l’autre, sans agressivité, sans revendication particulière. »
L’Étreinte est tourné en pellicule afin de donner au film une patine qui rappelle les portraits de femmes des années 1970 ou 1980, tels que ceux de Cassavetes avec Gena Rowlands, ou Alice n’est plus ici de Scorsese. « La pellicule m’est plus familière et instinctive, aussi dans le rituel qu’elle induit dans la mise en scène : le rapport au temps et aux acteurs, la pression du nombre de prises », précise le réalisateur.
Pourquoi L’Étreinte ? « Lorsqu’on perd quelqu’un, s’il y a bien une chose qui nous manque, c’est de pouvoir l’étreindre, le serrer, ne faire qu’un avec elle ou lui… Être privé de l’étreinte est l’une des choses les plus cruelles qui soit et dans mon film, c’est ce que Margaux vit avant de rechercher », déclare le réalisateur.