France est l'histoire d'une femme journaliste-star d'une chaîne d'information continue, sur fond d'un monde fortement déréglé par "le monde quasi-parallèle" des médias et des réseaux sociaux. Un pitch permettant à Bruno Dumont de développer la problématique selon laquelle notre monde a perdu son équilibre naturel dans la concentration inhérente d’une hyper société numérique et communautaire :
"L’hypertrophie de sa pensée nouvelle entraîne un trouble qui, à un rigorisme numérique invétéré, sur-interprète la réalité, fausse et dérègle plus encore les proportions et les dissemblances naturelles. C’est cette nouvelle optique numérique qui en serait la cause - via les images & les sons des médias, et leur réel toujours reconstruit et faussé - optique qui dorénavant filtre le réel, que l'hyper connexion enflamme."
"L'industrie médiatique est une industrie de masse qui exploite à ses fins cette possibilité infinie et inavouée de fiction : le réel médiatique dans l'information n'est plus tant le réel pour être ainsi arrangé, là où la réalité à bon dos : un "à moitié" réel qui fait la nouvelle réalité du monde. Un pouvoir médiatique surtout, exposé aux travers de tout pouvoir, c’est-à-dire emporté à toutes les "transfigurations" du réel."
"La collaboration des journalistes à cette transfiguration du réel est tragique et héroïque pour en être la part humaine à l'intérieur d'un système industriel idéologique et marchand. La sincérité des journalistes souvent fait peine à voir tant ayant pris la forme de leur fonction, ils se croient encore libres ; libres, alors que s'ils sont à l'antenne, c'est précisément par leur conformité au système qui les emploie à leur tâche."
"Tout ce théâtre médiatique - et le star-system qu'il génère par sa "cinématographie" et "cinégénie" télévisuelles - en disent long sur la modernité, sur le monde parallèle qu'est le réel et sur chacun d'entre nous, pour en être. Voilà un sujet de cinéma magnifique. Magnifique, parce que le cinéma s'y joue, parce que l'imaginaire déborde dans la réalité, mais surtout magnifique parce que l'humain y regimbe toujours !"
"France de Meurs incarne cette journaliste-star du système médiatique, véritable héroïne de cinéma, conscience tragique, toute illuminée, toute humaine."
France a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2021. Bruno Dumont est un cinéaste habitué à la Croisette puisque plusieurs de ses films y ont été présentés et/ou récompensés. C'est le cas de La Vie de Jésus (Caméra d'or), L'Humanité (Grand Prix du jury et un double prix d’interprétation), Flandres (Grand Prix du jury), la mini-série P'tit Quinquin (sélectionnée à la Quinzaine) ou encore Ma Loute.
Bruno Dumont a voulu filmer France comme une héroïne de roman-photo : dans sa vie, rien n’est "pour de vrai", sa voiture n’a pas de portières, son appartement ressemble à un musée, etc. Tout n’est que représentation dans un romanesque trop beau pour être vrai. Le metteur en scène confie :
"Le film n'est pas la chronique d'une journaliste, mais le bouillon universel d'existences d'âmes traversant la vie humaine et dont les trouées sont les pendants incantatoires vers l'infini. France est l'héroïne absolue de notre propre vie portée à sa munificence et forte de notre propre turpitude, non sans grâce possiblement. Seul le spectateur voit. Il voit sous ce théâtre l'au-delà de ce qui lui est ainsi montré, aussi lacunaire, pour qu'il comble ce dont il est lui-même l'accomplissement et dont le film était le commencement. France n'existe pas, elle amorce plutôt le spectateur à se méditer lui-même et sortir transformé de ce qu'il a vu."
Bruno Dumont explique ce qui l'a poussé à choisir Léa Seydoux dans le rôle de France : "France de Meurs et Léa Seydoux se sont entre-dévorées toutes crues. La beauté de Léa Seydoux n'est rien en regard de toute la précision de son jeu et de son rendu. Léa Seydoux consonne et dissone à l'envi et dans toutes les couches retranchées des ballets des émotions humaines."
"C'est une actrice de cinéma très singulière qui s'articule sur son personnage à la note près et qui toujours compose du bien senti. C'est une femme très émouvante au partage des zones crépusculaires comme des hautes clartés. Aucune répétition, quelques prises suffisent pour faire la dame. Son sens de l'humour et sa drôlerie naturelle auront enrichi France frappée d'un grand coup de sa bonhomie."
Aux côtés de Léa Seydoux, Blanche Gardin incarne Lou, une femme grossière et superficielle qui, pour Bruno Dumont, représente le symbole de ce système médiatique : "Le grotesque touche tellement à l'intelligence chez Lou qu'il en dit long sur la turpitude des élites si dévolus à l'aliénation des masses. Dans tout système, chaque collaborateur prend inexorablement la forme de sa fonction : Lou est à elle seule l'incarnation de système médiatique où seule l'audience détermine la valeur des actes, régressant dans une sorte de barbarie médiatique où le pire, c'est le mieux. Blanche Gardin campe admirablement cette sournoiserie apocalyptique qui, sympathiquement, collabore dans tous les systèmes industriels pour les mener à leurs fins."
Pour la musique de France, Bruno Dumont a à nouveau collaboré avec Christophe, qui avait composé la musique de Jeanne et qui est décédé en 2020, à l'âge de 74 ans. Le cinéaste et le compositeur ont voulu concevoir une bande-originale retranscrivant ce qui se passe dans le coeur de France. Le cinéaste précise :
"C'est une musique très psychologique. France porte la contradiction humaine à son comble aussi est-elle contrebalancée souvent par une musique contraire à ses actions ou ses paroles et qui annonce déjà la palinodie intestine de son existence. Puis France n'est pas humaine, mais un chant, le chant de l'humanité dans le tumulte de l'existence. Christophe comprenait tout ; déjà Péguy, il l'avait expliqué en l'ayant à moitié lu. Le lyrisme musical qui domine, à l'œuvre de Christophe, est l'écho de la grande tragédie qui se tend dans cette vie moderne où cette femme se démène."
Dans un entretien au Film Français, Bruno Dumont avait indiqué, au sujet de cette scène : "Sur le plan pratique, nous avons sollicité une autorisation de tournage de l'Elysée, qui nous l'a accordée et Emmanuel Macron a accepté de tenir son rôle, sans rien changer à son texte. C'est un bon acteur qui joue bien le président de la République, mais tout était écrit et c'était plus simple qu'on ne le croit."
France est une allégorie d’un système médiatique devenu une machine à faire du buzz. Bruno Dumont a voulu montrer comment, surtout à la télévision, la représentation d’un événement compte bien plus que l’événement lui-même. Toutefois, le public n'est pas dupe face à cela pour le réalisateur :
"La défiance notoire du public à l'égard des médias et des journalistes montre sinon la conscience, au moins l'intuition que tout à chacun a à l'égard d'un système qui prêche le réel alors que la fiction et ses représentations le submergent. La béance et infinie complexité du réel, sa "pagaille" se voit contrainte et combien simplifiée sous le prisme "cinématographique" de petits écrans et de leur pensée numérique hypertrophiée, rigoriste et quasi-démente."
"Autant au cinéma, la mystification du réel est un pacte tacite avec un spectateur éclairé, autant à la télévision non, parce que le réel est prétendument le réel alors qu'il est représenté ; d'où son terreau naturel pour les fausses nouvelles et le nouveau complotisme qu'induit cette suspicion de fiction. L’aplatissement de la réalité dans les médias donne alors du champ aux idées alternatives et minoritaires, ragaillardies et libérées dans ce nouveau monde artificiel."