Abattoir 5 s’ouvre sur une fille horriblement bourgeoise qui cherche son père en hurlant son nom autour de la maison ; cette danse ridicule ouvre le bal d’une circularité obsédante, à l’image de cette bulle finale dans laquelle est enfermé Billy. Son nom de famille, à Billy, c’est Pilgrim, soit le pèlerin. Intertexte intéressant puisque son chemin de croix désordonné s’apparente à un pèlerinage en terre inhospitalière et folle qu’un seul repli dans l’imaginaire permet de réorganiser et ainsi d’affronter. L’important n’est pas le temps, ce temps qui écrase l’homme comme l’horloge écrase le soldat. L’important réside dans l’assemblage des instants heureux, raccommodés les uns aux autres de sorte à écarter l’horreur ambiante et ainsi survivre. Le bonheur s’incarne dans le chien, fidèle compagnon de notre héros avec lequel il semble partager un langage secret, parler le langage des dieux. Au-delà de proposer une déconstruction fort pertinente, Abattoir 5 dresse un portrait sans concession de l’autodestruction humaine à différentes échelles : historique, idéologique, sociale, familiale. Un père se montre cruel avec son fils ? Optons pour un père de substitution dans les camps de concentration. Une femme fait preuve d’inertie pesante ? Choisissons l’actrice sur laquelle fantasmer, en cachette. De la couverture sous laquelle il se terre jusqu’au fossé dans lequel il choit, le film n’a de cesse de cacher Billy, de l’isoler dans le cadre. Héros à distance du monde pour mieux l’habiter, Billy est le grand laissé-pour-compte : son histoire devient des bagatelles sociales ou le prétexte à une opération commerciale – la fameuse publication du pseudo-historien sur son lit d’hôpital –, chacun choisit à sa place. Pourtant, nul mélodrame ici, mais une certaine résilience qui n’est en fait que résistance intérieure. Car tout le monde meurt autour de lui, mais lui demeure. Par sa simple présence en tant que spectateur-témoin, voilà toute une Amérique des années 60 qui se trouve l’objet d’une féroce satire : guerre du Vietnam, embourgeoisement compulsif qui change les corps en ballons de baudruche, ces fléaux s’abreuvent tous au même puits souillé du traumatisme refoulé. Au chemin pavé d’or du Magicien d’Oz, préférons les saccades d’une imagination où peut s’exercer, totalement, l’art de s’approprier un destin qui ne nous appartient pas.