Yaron Shani a toujours cherché à sonder le vivant et ce même avant de devenir cinéaste. La naissance de ses filles a profondément changé sa vie et son lien émotionnel et intellectuel avec l’existence est devenu plus profond. Une évolution qui est à l'origine de Chained et Beloved. Le réalisateur se rappelle :
"J'ai commencé à ressentir un besoin de travailler avec ces émotions et ces idées. Je me suis rendu compte que je devais faire un film qui serait un acte d'amour à tous les enfants et parents du monde - un regard honnête sur qui nous sommes, et sur combien de souffrances nous nous infligeons à nous-mêmes et aux autres, mais aussi à quel point la vie est une belle chose. Les films sont trop souvent de simples divertissements (émotionnels et intellectuels) mais ils peuvent aussi être thérapeutiques. Ils peuvent ouvrir nos blessures cachées et nous obliger à faire face au changement."
A travers Chained et Beloved, Yaron Shani voulait dépasser les lignes de démarcations habituelles entre la fiction et la réalité. Tout d’abord, grâce aux acteurs, qui ont été choisis pour avoir été confrontés dans leur vie à des épreuves proches de celles du film.
"Les acteurs ne jouaient pas : ils étaient en train d'agir, dans le souvenir de ce qu’ils avaient vécu. Ils (re)vivaient la vie de leurs personnages et d'une certaine manière la leur, librement. Sans lire aucun script, sans connaître les étapes du film, durant une année, ils ont mené leur propre parcours avec les personnages. Le cadre général de l’intrigue a été étroitement construit, mais les éléments fondateurs - les émotions, les énergies et les dialogues - sont devenus plus riches que ce que j’aurais pu écrire."
Chained sera rapidement suivi de Beloved et les deux films composent un dyptique. En tournant le premier, Yaron Shani s'est rendu compte que ce projet était beaucoup trop grand pour tenir en un seul film. "Comme nous avons construit une production flexible, qui contenait une période de tournage d’un an, je pouvais planifier mon tournage en conséquence afin de construire une expérience à plus grande échelle - comme un univers composé de romans différents", se rappelle-t-il.
Chained suit un policier consciencieux qui perd peu à peu son emploi, sa fierté et sa famille. L'occasion pour Yaron Shani de poser plusieurs questions : "Qu'est-ce que ça veut dire d'être un policier dans la vie réelle ? Quel genre de personne choisit de consacrer sa vie à cette vocation dangereuse ? Comment leur personnalité affecte-t-elle leur travail et le travail affecte-t-il leur vie familiale ? Qu'est-ce que cela signifie de perdre votre statut de puissant gardien de la paix ? Qu’est-ce qu’être un homme ? Eran Naim, l'acteur principal, en sait davantage que moi sur le sujet."
Beloved suit quant à lui la femme de Rashi, Avigail… "Beloved aurait pu être le premier film, ou le second. Il raconte l'histoire de personnages qui sont à l'arrière-plan de Chained, en effet celui d’Avigail en particulier, mais aussi celui d’autres femmes. Il peut être regardé comme un seul morceau. Quand Chained est brutal, Beloved est gracieux. Il surprendra après Chained tout en approfondissant la compréhension et la connexion émotionnelle de tous les personnages", précise Yaron Shani.
A de nombreuses reprises, dans Chained et Beloved, Yaron Shani a utilisé des flous sur les corps dénudés. Dans sa façon de faire des films - où les lignes entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas sont "floues" - une personne est parfois réelle et parfois fictive ; la nudité est parfois réelle et parfois elle ne l’est pas ; une identité discrète est parfois réelle et parfois non.
Il confie : "Il est facile de les exposer quand ils sont faux, quand nous avons affaire à des personnages complètement fictifs, mais ici c’est souvent personnel et vrai. Le respect et la sensibilité deviennent précieux dans l'exposition de la vie réelle. De même que je n’exposerais pas les parties les plus vulnérables du corps de votre fille, et que je n’exposerais pas une personnalité discrète dans un documentaire."
Né en 1973, Yaron Shani est diplômé du département de cinéma de l'Université de Tel Aviv. Dans son film de thèse Disphoria (2003), il expérimente une manière unique de faire de la fiction avec des personnalités authentiques (acteurs non-professionnels). Disphoria a été primé au Festival de Karlovy Vary et au Festival de Sehsuchte.
En 2009, Ajami (co-réalisé avec Scandar Copti) est devenu un point de repère dans le cinéma israélien. Nominé aux Oscars du meilleur film étranger ; présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, il a reçu le prix Caméra d’Or - Mention spéciale ; a reçu cinq Oscars israéliens, dont le meilleur film, le meilleur réalisateur et le meilleur scénario ; il a également remporté 15 autres prix internationaux, dont le Golden Alexander au Thessaloniki IFF, le Sutherland Trophy au London IFF et le Meilleur long métrage au Jerusalem IFF.
Life Sentences (co-réalisé avec Nurit Kedar) a remporté le prix du meilleur documentaire au Festival du film de Jérusalem 2013.
Chained sonde une forme de masculinité quand Beloved se concentre sur le féminin sous toutes ses formes. Yaron Shani explique au sujet des rapports entre hommes et femmes en Israël : "La culture israélienne a profondément changé au cours des dernières décennies. Les hommes et les femmes de la société laïque traditionnelle sont plus libres d’adopter de nouvelles formes d’expression, mais ils sont aussi très confus. L'écart entre les générations âgées et les jeunes se creuse, en particulier dans les communautés traditionnelles. Les jeunes semblent particulièrement déchirés entre des tendances et des attentes contradictoires. On s'attend à ce que les femmes se consacrent à leurs enfants, mais qu'elles réussissent aussi dans leur carrière. Elles rêvent de trouver un homme mais cherchent l'indépendance. Les jeunes filles sont partagées entre la pudeur et une sexualité tentante. Les hommes doivent gagner et être à la tête des autres, mais faire place à la nouvelle liberté féminine."