Ayant accompagné une personne de son entourage dans sa transition, Ruben Alves a décidé d'en faire le sujet de son nouveau film. Mais après quatre-cinq années passées à réunir des idées et à tenter d'écrire un scénario avec Cécilia Rouaud, il n'était toujours pas satisfait du résultat : « Je voulais que le grand public ait accès à ce sujet et à ses enjeux mais je ne trouvais pas le bon biais ni la façon d’apporter quelque chose de différent par rapport à de formidables documentaires existants ». C'est alors que sa productrice, Laetitia Galitzine, lui propose de faire un téléfilm sur une personne transgenre. D'abord intéressé, Alves quitte le projet qu'il trouve trop codifié. Il garde cependant contact avec Alexandre Wetter, rencontré lors du casting : « J’ai été frappé par la façon dont il passait avec simplicité et naturel d’un physique assez masculin à une féminité assumée. Je l’ai questionné sur lui, sur la façon qu’il avait de se mettre en scène en femme sur son compte Instagram, je lui ai demandé s'il envisageait une transition. Ce n’était pas le cas. Il se sent juste ' plus fort en femme' ». Après leur première rencontre, Wetter décide de regarder La Cage dorée. Emballé par cette comédie, il suggère à Alves de réaliser un long-métrage sur l'androgynie.
Ruben Alves insiste sur le fait qu'il n'a pas réalisé un film sur les Miss France. Il a cherché à casser les codes et à insuffler de la modernité dans cet univers qu'il considérait avec second degré. Après avoir rencontré Sylvie Tellier, la directrice générale de Miss France, et Endemol Shine, le réalisateur a fini par s'attacher aux candidates du concours : « Certaines ne sont là que pour devenir célèbres, toutes ne sont pas brillantes, mais la plupart sont authentiques, sincères, investies, pas bêtes. […] Je trouvais par ailleurs intéressant que l’on aborde une féminité plurielle à travers le regard d’un homme qui met les femmes sur un piédestal et qui n’hésite pas à mettre certains hommes face à leur bêtise. […] Il n’était pas question de faire un film militant mais, avec ma co-scénariste Elodie Namer nous voulions rendre hommage à la femme et au courage qu’il lui faut pour grandir et s’affirmer dans notre société patriarcale ».
C'est en tombant par hasard sur une scène de Dix pour Cent dans laquelle son personnage fume dans un lit après avoir couché avec son assistante que le réalisateur a choisi Thibault de Montalembert pour le rôle de Lola, l'ami travesti d'Alex : « Je découvrais là, l’espace d’un instant, une forme de féminité qui me plaisait énormément. J’avais ma Lola. Et j’ai eu la chance qu’il accepte immédiatement. Thibault a plongé dans l’univers de son personnage pendant deux mois : il s’est créé une playlist Lola, s’est entraîné à marcher avec ses talons hauts, a lu tout ce qu’il pouvait sur l’ambivalence, le travestissement… » L'acteur a été accompagné dans sa préparation par Magda, célèbre travesti et travailleuse du sexe à Pigalle : « C’était un personnage haut en couleurs : elle parlait fort, faisait la police dans le quartier, protégeait ses copines… »
L'un des défis de Miss était d'éviter les clichés. Pour Ruben Alves, la clé est de « Parler vrai. Je les connais ces personnes car elles sont autour de moi. J’ai toujours été très inspiré et fasciné par ces personnages. Une des raisons pour lesquelles je suis un grand fan d’Almodovar sans doute. J’ai aussi côtoyé des gens très différents dans ma vie. Pendant l’écriture, j’étais en permanence sur le fil, cherchant à la fois à être accessible, vrai et respectueux ».
Miss est le premier rôle d'Alexandre Wetter. Pour le réalisateur, « C’était un pari de travailler avec un acteur inexpérimenté. Mais je croyais en sa force ce mec du Var qui, tout gamin, se disait qu’un jour, il défilerait en femme pour Jean-Paul Gaultier. Il ne pouvait être qu’inspirant. Quand j’ai su qu’il avait accompli ce rêve, j’ai compris qu’il avait le personnage en lui et qu’il aurait la détermination nécessaire pour porter un film sur ses épaules ». Le comédien a travaillé avec un coach d'acteur, Daniel Marchaudon, ainsi que Chris Gandois, une coach de maintien. Il a pratiqué une à deux heures de sport par jour et a suivi un régime drastique afin de perdre de la masse et s'assécher au maximum.
Le réalisateur a été en contact avec Endemol Shine, la société de production de l'émission, pour des questions techniques plus qu'artistiques et n'a jamais demandé son consentement : « Ils ont aimé la modernité du scénario, son humour qui ne dénigre pas leur travail, et m’ont laissé les coudées franches. Sylvie Tellier, contrairement à l’image qu’en ont certains, est une femme extrêmement large d’esprit ».
Si Ruben Alves entend avant tout émouvoir avec son film, il espère faire évoluer les mentalités : « mon film est un état des lieux de la société d’aujourd’hui, de son besoin systématique de genrer et de juger, à tort, ceux qui ne correspondent pas à la norme. Si quelqu’un ressort du film changé, en assumant qui il est vraiment ou en modifiant sa perception des êtres différents, j’aurai tout réussi ».
Si Miss devait à l'origine traiter de transidentité, Ruben Alves a préféré se pencher sur l'androgynie après sa rencontre avec Alexandre Wetter. Celui-ci a été séduit par la manière dont le film montre à la fois plusieurs féminités mais aussi diverses masculinités : « comment les hommes peuvent-ils assumer leur féminité dans la société actuelle ? Comment peut-on trouver sa place quand sa virilité ne correspond pas aux codes établis C’est un parti pris très moderne ». De son côté, l'acteur a toujours assumé sa part de féminité : « j’ai compris que l’art et la mode pouvaient m’aider à explorer cette partie de moi dans un cadre « sécurisé ». Mais dans ma vie civile, outre quelques excentricités, je ne m’habille pas en femme. Je n’ai d’ailleurs jamais voulu être une femme. Je veux juste comprendre, explorer, embrasser ma part de féminin, celle que nous avons tous en nous ».