Si on a découvert son dernier film tourné en date, « Sundown », cet été avec plaisir dans les salles françaises (mais pas québécoises), Michel Franco avait tourné avant la crise du Covid-19 ce « Nouvel ordre » qui débarque seulement maintenant et uniquement en vidéo à la demande. Dommage, car c’est certainement son meilleur film aux côtés de « Despues de Lucia ». C’est un uppercut moral, social, politique et psychologique comme on en voit peu et c’est sans aucun doute son œuvre la plus ambitieuse. Elle fait de lui un auteur désormais essentiel voire indispensable pour qui goûte à son cinéma si particulier et pas toujours agréable car il bouscule et interpelle. Sa filmographie entière ne fait pas partie de ce que l’on appelle du cinéma de divertissement et c’est tant mieux. Ici, il met en scène une gigantesque révolte du peuple et du prolétariat contre les nantis au sein de son pays, le Mexique, qui va ensuite tourner à la dictature martiale. Il offre ainsi une vision nihiliste de la société et propose aussi bien une prophétie cauchemardesque qu’un effet miroir sur un futur probant. Et on peut clairement le voir comme un visionnaire, car on retrouve dans cette dystopie ultra réaliste de nombreux éléments totalitaires vécus durant la crise récente. Des mesures que l’on nous a fait subir avec abus et sans vergogne. Peut-être qu’au final, son film a encore plus d’impact après avoir subi ces deux ans de privations éhontées et de dictature sanitaire. C’est même certain et dans tous les cas son film reste du très grand cinéma. Certains n’aimeront pas, seront offusqués ou reprocheront au cinéaste un propos simpliste, pétri de zones d’ombres mais c’est sa recette frontale à lui, et elle interpelle.
La manière dont il va entreprendre son sujet est comme à son habitude froide et radicale. Choquante et sans concession même. Durant la première partie à un mariage mondain, sa caméra va se détacher de ses longs plans fixes habituels pour être plus mobile et même user de quelques excellents plans-séquence nous immergeant dans le tumulte de la réception avant que celle-ci ne tourne au carnage. Les premières images nous avaient donné le la, mais le spectateur ne s’attend pas à un tel déferlement de violence sèche et de révolte pleine de fureur. Le propos est clair : les inégalités sociales entre riches et pauvres (ainsi que maîtres et personnel de maison) sont devenues trop criantes et ne peuvent qu’amener à une révolution qui passera par le sang et le chaos. Et le refrain est connu : du chaos naît l’ordre. Mais celui promu par Franco fait froid dans le dos à base de dictature martiale, de kidnappings, de sévices et de violences. Le cinéaste ne nous épargne rien - sans pour autant exagérer - mais martèle son propos sans équivoque. Les personnages ne sont que des figurines (peut-être un peu trop), jouets de ce théâtre du désordre parfaitement huilé. « Nouvel ordre » est court, concis et efficace. Il nous happe dès les premières images, va droit au but, manie les ellipses avec savoir-faire et ne nous laisse pas indemnes. Non, plutôt le souffle coupé et la peur au ventre, car ce futur-là semble à nos portes. Une proposition de cinéma puissante, limpide et coup de poing par un cinéaste adepte des électrochocs et qui nous met face à nos propres errances sociétales. Du grand cinéma, ni plus ni moins. Encore une fois avec Franco.
Plus de critiques cinéma sur ma page Facebook Ciné Ma Passion.