« La vie est belle. La vie est merveilleuse quand on aime. Rien ne compte en dehors d’aimer. » Ces paroles, prononcées dès la première scène de ce film, semblent présager une œuvre comportant de bonnes doses de mièvrerie. Mais elles sont dites par un homme qui, en vérité, ne se paie pas de mots et sur un ton qui ne s’apparente nullement à de la guimauve. L’homme est tétraplégique et ses paroles n’ont rien de superficiel. De plus, elles ne mentent pas, elles sont la meilleure introduction possible pour un film dans lequel, de fait, il est question d’amour, et d’amour vécu, et non pas seulement enrobé dans de grandes phrases pontifiantes.
Le film est réalisé par un russe, comme le nom l’indique, mais un russe qui a quitté son pays à la fin des années 80 pour venir s’établir aux États-Unis. L’action se déroule sur une journée, à Milwaukee, dans le Wisconsin, et elle met en scène, majoritairement, prioritairement, des personnes handicapées issues, pour une part, précisément, de la communauté d’origine russe de cette ville, et, d’autre part, de la communauté afro-américaine. Tous sont des laissés-pour-compte, mais, chez qui, s’affirme, malgré les épreuves, un extraordinaire appétit de vivre. Pas une seule fois, il faut le souligner, le film ne bascule dans le larmoyant. Au contraire, même s’il ne dissimule aucunement ni les épreuves ni les coups de gueule des personnages, il est tout entier marqué par un réjouissant dynamisme.
Sur une durée d’un jour donc, nous sommes invités à suivre les déplacements de Vic, jeune homme qui veille sur des personnes handicapées et, au moyen d’un véhicule utilitaire, les conduit en différents lieux, à commencer par un cimetière où se réunissent les différents protagonistes pour un dernier hommage à une femme récemment décédée. Même en ce lieu et en cette occasion, ce n’est pas la tristesse qui prévaut. Il s’y déroule d’ailleurs un quiproquo qui prête à sourire plutôt qu’à pleurer. Il faut préciser qu’avec les russes, tout comme avec les afro-américains, on ne rate pas une occasion de chanter. Des chants russes, bien sûr, mais pas seulement. Pendant un déplacement, c’est « Let my people go » qui se fait entendre, ce qui donne lieu à une belle explication de texte, prononcée par une femme d’origine russe !
À bord de son véhicule, malgré des manifestations de rue qui le perturbent dans ses projets, Vic accueille bientôt Tracy, jeune femme noire atteinte de la maladie de Charcot, et Dima, un jeune russe dont on ne perçoit pas totalement les motivations mais dont les propos sont, parfois, cocasses et attachants (ainsi lorsqu’il raconte qu’à sa naissance, on ne donnait pas cher de sa vie, et qu’il n’a survécu que grâce aux prières de sa grand-mère invoquant saint Pantaléon !). Tout au long du film, d’ailleurs, les dialogues vont bon train, ils ne cessent presque jamais, et ils sont souvent savoureux.
Tout comme les dialogues qui n’arrêtent pas de fuser d’une personne à une autre, la caméra, elle aussi, s’agite beaucoup, presque trop. C’est sans doute le seul bémol à formuler à propos de ce film : les plans sont hachés et la caméra si mobile qu’on en a presque le tournis. Cela dit, ce choix du réalisateur se justifie, dans la mesure où il a voulu donner une apparence de documentaire à un film qui semble pris sur le vif et qui n’est joué que par des acteurs non professionnels. De ce fait, on ne peut qu’être très favorablement impressionné par la galerie de personnages qui apparaissent dans le film : des éclopés, des cabossés, des laissés-pour-compte de l’Amérique de Trump, qui, même s’ils sont forts en gueule, n’ont pas retranché de leur vie le principal, c’est-à-dire leur capacité d’aimer.