« Le Manhattan c’est notre seul piège à rats, si on veut qu’il se referme, faut savoir doser le gruyère. »
« Maigret voit rouge » est la dixième collaboration de Gilles Grangier, ancien stakhanoviste du cinéma populaire (réalisant parfois 3 films par an dans les années ‘50) et de Jean Gabin. C’est également la seconde fois que les deux hommes mettent en scène un roman de Simenon après « Du sang à la tête ». Au niveau de la musique, il s’agit de la cinquième collaboration entre Michel Legrand et Francis Lemarque au cinéma et la troisième du duo pour Gilles Grangier.
Au niveau du casting, on pourra s’amuser de l’une des premières apparitions marquantes de Michel Constantin (j’avoue, je suis fan), doublé en anglais des Etats-Unis. Plus sérieusement, Gabin ne déroge pas à sa stature audiardesque acquise une dizaine d’années plus tôt (Gas-Oil, Gilles Grangier déjà, 1955), Guy Decomble, habitué des seconds rôles et des interprétations de policiers, joue un inspecteur un peu falot, Françoise Fabian, déjà célèbre et veuve de Jacques Becker, éclabousse la pellicule de sa grâce et croise un encore jeune Marcel Bozzuffi (déjà présent dans Gas-Oil) qui sera son mari durant 25 ans. Voilà pour le côté people, ne vous y habituez pas, ce n’est pas mon genre. Ajoutons encore l’excellent Vittorio Sanipoli, parfait en patron de bar américano-sicilien faussement ingénu.
Au niveau de la réalisation, ne soyons pas trop vache avec Gilles Grangier : son classicisme sans originalité, sans invention, a quand même vu naître quelques chefs d’oeuvre de la comédie populaire française (Gas-Oil, Archimède le Clochard, Le Cave se Rebiffe, les Vieux de la Vieille), certes tous avec Jean Gabin (ils tourneront 12 fois ensemble) mais aussi La Cuisine au Beurre, avec Fernandel et Bourvil, sorti la même année que ce Maigret. Ce que Grangier apporte à cette adaptation de Simenon, c’est surtout la douceur visuelle de sa narration. C’est en effet ce qui caractérise le plus son cinéma, et qui détone dans les histoires sombres et souvent pessimistes de Simenon : l’humanité et la tendresse de ses personnages, que l’on peut ressentir dans la captation des expressions du visage, quelques dialogues de connivence et la lumière de ses scènes. Même dans l’adaptation d’oeuvres noires, Grangier apporte toujours sa lumière personnelle, ses films font du bien à notre humanité.
Au niveau des dialogues, signés par l’oubliable Jacques Robert, on peut se demander qui a fait planer aussi savoureusement l’ombre d’Audiard, tant certaines tirades semblent tout droit sorties de sa verve. Sans doute Grangier et Gabin y ont-ils mis leur grain de sel.
L’histoire enfin est amenée à la façon d’un puzzle, avec quelques la révélation de détails que Maigret ne connaît pas mais qu’il devinera vite. Nous, nous suivons l’enquête de manière assez immersive et cela aussi est à mettre au compte de Grangier et Gabin.
Au final, ce Maigret en « patron » est un excellent film qui, sans être un chef d’oeuvre du cinéma, est fort bien pensé et très distrayant.