Samuel Benchetrit définit Cette musique ne joue pour personne, son septième long métrage, comme "une comédie absurde et poétique, avec des durs qui vont devenir des tendres, saisis par une tendresse qui les dépasse". Le réalisateur ajoute : "Je le rappelais aux acteurs sur le plateau : on a tous un poème en nous, une heure de tendresse par jour. Je leur disais même : n’oubliez pas, il y a une petite fleur en vous. Généralement, ils se foutaient de moi."
"C’est une phrase que j’ai écrite il y a plusieurs années. J’étais dans un restaurant avec une fille, elle s’ennuyait, je m’ennuyais. Je suis allé aux toilettes, des haut-parleurs jaillissaient des Impromptus de Schubert. Je me suis dit : je serais mieux là, cette musique ne joue pour personne. Mais aujourd’hui, il s’agit presque d’une antiphrase : Jeff explique que pour que cette musique existe, il suffit de l’avoir aimée..."
Samuel Benchetrit a toujours aimé ces bandes d’ouvriers. Pour créer les personnages du film, le cinéaste a pensé aux copains de son père, qui travaillait dans une usine de serrures. Il se rappelle :
"Là, ce sont des types qui bossent sur les docks. Ils portent des marchandises, ils se connaissent depuis longtemps. S’ajoute le souvenir de mes propres amis d’enfance, ceux que j’ai rencontrés dans la cité HLM de la banlieue parisienne où j’habitais, c’étaient plus des « loulous » que des artistes, j’étais le plus fragile du groupe !"
"Et puis dans les cassettes qu’on regardait en bande, à l’adolescence, outre les pornos et les films d’horreur, il y avait les films de gangsters... Quand on regardait Les Affranchis, mes copains s’imaginaient sans doute en Henry Hill ou en d’autres membres de la pègre, moi je voyais qu’il y avait quelqu’un derrière tout ça qui imaginait ce plan-séquence si puissant."
Plusieurs acteurs du film se connaissent bien : c'est, par exemple, le cas de JoeyStarr et Ramzy Bedia, à l'affiche de Tout simplement noir (2020), Les Seigneurs (2012), La Tour Montparnasse infernale (2001), Old School (2000) ou encore François Damiens et Bouli Lanners qui étaient dans Rien à déclarer (2010) et Cowboy (2007). De même, Samuel Benchetrit a fait tourner Vincent Macaigne, Vanessa Paradis et Lanners dans le dérangeant Chien. A noter que Lanners et Gustave Kervern ont collaboré sur pas moins de neuf films !
Samuel Benchetrit a d’abord échangé avec son habituel complice, le dramaturge Gabor Rassov. Il précise : "On développe les personnages ensemble, on se raconte des histoires, il m’apporte beaucoup de liberté. À un moment, je pars écrire seul : j’ai l’impression de remplir un sac à dos, comme un enfant à qui sa mère dirait « n’oublie pas de prendre ça ». J’étais très heureux pendant l’écriture proprement dite, j’écrivais à côté du père de Vanessa Paradis, qui malheureusement n’est plus là. Il faisait ses dessins, ses devis pour son entreprise de décoration. Le soir, on se demandait si on était contents de nos journées..."
Samuel Benchetrit a une attirance pour le Nord et voit Dunkerque comme un endroit un peu oublié, dont les habitants se remettent difficilement d’une industrie perdue : "Ils ont un cœur énorme : les gens pleuraient quand mes acteurs sont partis... On ne peut pas tourner dans un endroit sans faire participer les gens du coin, les dockers sont de vrais dockers, etc. Le tout sous les éclairages de Pierre Aïm, le directeur de la photo, qui a le talent de sublimer le quotidien", confie le cinéaste.
Samuel Benchetrit a écrit le film pour des acteurs qu'il avait déjà en tête (certains avec qui il a souvent tourné, d’autres qu'il connaissait dans la vie). "François Damiens, par exemple. On s’est souvent croisés. Sur un plateau, il est très facile, c’est un acteur qui ne sait rien du métier d’acteur. Il n’a aucune méthode, j’avais l’impression de voir quelqu’un qui tournait son premier film. Alors qu’il n’arrête pas de tourner ! Ramzy a un physique époustouflant : c’est un grand type, parfois encombré de son corps, avec les épaules larges, le coffre des grands acteurs, un imaginaire exceptionnel qui n’est jamais vulgaire", explique-t-il.
La bande-son fait alterner le piano poétique de Gonzales et des tubes de la chanson française. En écrivant, Samuel Benchetrit écoutait les morceaux pour piano solo de Gonzales, qu'il admire. Le metteur en scène se rappelle :
"J’en parle à la monteuse, qui commence à assembler le film sans moi, pendant le tournage. Elle place naturellement plusieurs morceaux de Gonzales et ça marche bien. Mais j’ai aussi envie qu’il y ait des chansons d’amour, j’aurais bien appelé le film comme ça si Christophe Honoré n’avait pas déjà pris le titre."
"Les chansons sont arrivées assez vite au montage. Je suppose que Ramzy doit écouter Nostalgie ou une station comme ça ! J’ai choisi des standards, je voulais qu’il y ait Bashung, Arno, etc. Des chansons d’amour qui rendent triste ou heureux selon l’état d’esprit de qui les écoute."