Dès le générique (cela, on ne s’en apercevra qu’après) et la première scène, le ton est donné : le visiteur qui arrive au domaine s’égare dans un labyrinthe végétal pour rejoindre le propriétaire, qu’il entend être en conversation : il découvre qu’il faut activer un mécanisme pour faire pivoter un morceau de haie afin d’accéder au centre du dit labyrinthe et que la conversation n’en est pas une, l’interlocuteur s’avérant être un magnétophone… Le film consiste à partir de là en une accumulation de faux semblants et de falsifications. Le comportement constant des personnages vise à manipuler et à tromper autrui, comme Mankiewicz vise à manipuler en permanence le spectateur : certains actes des protagonistes changent rétrospectivement radicalement de sens (la vérification du pouls par le « premier meurtrier » en est un exemple subtil) ; certains plans aussi (celui des la voiture cachée dans les frondaisons).
Il s’agit là d’un jeu (de jeux) entre les personnages eux même, et entre le réalisateur et le spectateur ; jeu(x) intelligent et machiavélique, qu’il faut apprécier en renonçant à la vraisemblance. Le plaisir est purement intellectuel, loin de tout réalisme (le réalisateur a le soin de présenter son œuvre en nous faisant pénétrer dans une scène de théâtre miniature) ou toute empathie.
A ce plaisir jouissif s’ajoute la symbolique de ce jeu auquel se livrent les protagonistes, dont la motivation est un travers inhérent à la nature humaine : la volonté de domination, et son expression perverse qu’est l’humiliation, prenant ici parfois une coloration de lutte des classes.
Adaptation d’une pièce de théâtre, le film est bien sûr assez théâtral, au sens où le scénario, diabolique, et les dialogues, ciselés et percutants, sont les principaux ressorts du film ; mais Mankiewicz utilise aussi à merveille les possibilités du cinéma, en faisant se promener et se perdre sa caméra dans un entrelac de décors intérieurs sophistiqués et angoissants peuplés d’inquiétants automates.
Quand ces « jeux dangereux », relevant essentiellement de la comédie, sont rattrapés par la réalité, ils débouchent dérisoirement sur la mort et la folie ; après ces deux heures vingt de plaisir autant jouissif que vénéneux, Mankiewicz conclut sur une considération morale.
NB : Le film mérite d’être vu plusieurs fois : le plaisir de la découverte, des surprises et des rebondissements de la première vision est encore dépassé, lors d’une vision postérieure, par l’admiration et la délectation de l’ingéniosité mise en œuvre dans la construction de ce film d’orfèvre.