Michel Andrieu et Jacques Kebadian ont été à la fois témoins et acteurs de Mai 68. Les cinéastes voulaient confronter ces événements survenus il y a cinquante ans avec aujourd’hui. Il expliquent : "Il nous fallait faire de notre expérience de militants et de cinéastes une œuvre qui nous re-plongerait dans ce que nous avions vécu et filmé pendant ces deux mois fiévreux de 1968 : un témoignage de cette époque. Ou comment poser une stèle qui échapperait à tout commentaire. Au spectateur de s’y retrouver et de rêver à ce monde disparu qui n’est pas si loin du nôtre. Ensemble, nous renouons ainsi avec notre collaboration au sein du groupe ARC 68 après les films tournés à Berlin (Berlin 68 et Sigrid) et Le Droit à la parole."
À l’IDHEC, en 1963, un groupe d’étudiants s’était regroupé pour aller filmer la grande grève des mineurs du Nord en empruntant le matériel de l’école. Michel Andrieu et Jacques Kebadian racontent : "Le montage nous a échappé et nos rushes sont venus alimenter un film de la CGT. De là vint en 1967 le projet de filmer, en tant que militants et en tant que cinéastes, la réalité sociale et politique du pays. Nous étions aussi entraînés par le travail de Chris Marker et son film Loin du Vietnam sorti la même année. Il faut rappeler qu’à l’époque très peu de films s’intéressaient à la réalité sociale et politique du moment."
Michel Andrieu et Jacques Kebadian expliquent pourquoi ils ont choisi de ne raconter Mai 68 qu'à partir d’extraits de films et sans commentaires. "Notre idée était de composer un récit sans d’autres mots que ceux que nous avions choisis dans les extraits de nos films de Mai 68 : sept films dont certains sont sortis en salle en 1978 sous le titre Mai 68 par lui-même . On y retrouve également des extraits du film de Jean-Pierre Thorn : Oser lutter, oser vaincre, et de William Klein : Grands soirs et petits matins."
Michel Andrieu et Jacques Kebadian sont partis, avec leur monteuse Maureen Mazurek et leur producteur d’Iskra Matthieu de Laborde, en ayant le désir fort de faire ce film quelles qu’en soient les conditions financières. Ils confient : "Nous avons fait ce film avec l’accord de notre collectif de cinéma ARC 68, et celui d’utiliser les films que nous avions alors tournés en leur sein. ARC est ainsi co-producteur du film. Sans cela, le film aurait été impossible. ISKRA, autrefois SLON, initié par Chris Marker et plusieurs techniciens du cinéma, nous a apporté des extraits des films produits dans les mêmes conditions. Cela nous a permis d’avoir une grande liberté de travail."
Les Révoltés oscille entre moments de liesse et d’affrontements. Michel Andrieu et Jacques Kebadian ont décidé de ne pas montrer l’avant Mai dont ils avaient des images, notamment le précurseur et important rassemblement de Berlin en février 1968 où ils avaient tourné deux films : Berlin 68 et Sigrid (dans lesquels ils montraient l’occupation de la Freie Universität, une très grande manifestation contre la guerre au Vietnam et la théorisation de l’occupation des universités comme possibilité d’entraîner les ouvriers dans le mouvement). "Nous avons refusé l’ajout d’un commentaire explicatif et normatif. Nous avons coupé les commentaires préexistants dans nos films et ceux de nos amis quand ils n’étaient pas indispensables. Nous avons laissé la parole aux manifestants, aux occupants des universités et des usines, qu’ils soient étudiants, jeunes ou ouvriers", expliquent les deux réalisateurs.