C’est sur un mouvement de renversement que repose « The Tailor of Panama » : la fiction (le mensonge) entraîne avec elle le film dans son ensemble, dans une sorte d’apologie du faux, qui écrase tout sur son passage. Ambigu jusqu’au bout, le film aboutit à une expérience de pur cinéma, mais aussi au portrait sensible et complexe d’un homme qui va se révéler à lui-même. L’opposition entre deux menteurs donne au film son impulsion. D’un côté le tailleur qui habille la réalité de ses fantasmes (et son amitié pour Mickie traduit un désir inconscient d’être quelqu’un d’authentique comme lui), typique du Britannique qui se réinvente dans les colonies – interprétation à la fois bouffonne et empreinte d’humanité de Geoffrey Rush. De l’autre, Pierce Brosnan dans un de ses meilleurs rôles : l’espion cynique qui ne pense qu’à monnayer les fausses informations, personnage plus contemporain, très représentatif du monde moderne : absence d’idéologie, aucun sens de l’identité, totalement matérialiste, aucun but dans la vie sinon son propre intérêt. Il n’a de lien avec rien sinon ses propres appétits, le sexe et l’argent. Rien que dans sa manière de fumer, on sent qu’il est gouverné par la luxure. Bref, un salaud de l’ère Tatcher-Reagan, élevé dans l’idéal matérialiste. A eux deux, Harry et Andy composent deux pôles irréductibles (c’est la sensibilité face au matérialiste), ouvrant sur cette inversion jubilatoire : le mensonge qui court-circuite le réel jusqu’à devenir la vie tout entière, l’art non plus comme simulacre du monde mais le monde lui-même comme inépuisable chantier de cinéma. Cela engage évidemment une réflexion sur la paranoïa universelle (et nord-américaine en particulier à travers l’emballement belliqueux de la machine de guerre US), mais surtout une satire cruelle, un constat désemparé devant le malin génie de la désinformation généralisée. Sous couvert d’une jubilatoire satire au rythme effréné, le film appelle donc une morale politique et dresse aussi le portrait psychologique d’un individu complexes. Bref, du cinéma total. Nous sommes bien chez John Boorman.