En 2007, une amie de Michal Aviad est venue chez elle avec une collègue qui lui a raconté comment elle avait été sexuellement harcelée par son patron pendant trois ans. La plupart du temps, cela prenait la forme d’une menace constante et tacite. La réalisatrice se rappelle : "Elle avait besoin de ce travail et croyait qu’elle pourrait encaisser, jusqu’à ce qu’elle fasse une dépression nerveuse. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris comment le harcèlement sexuel pouvait se produire au fil du temps et impliquer une dépendance psychologique et économique. J’ai senti que je pouvais bâtir un film à partir de cette histoire. Six ans plus tard, après avoir réalisé Invisible (2011), qui parlait du traumatisme lié au viol trente ans après les faits, j’ai commencé à me documenter sur le sujet."
Née en 1955 à Jérusalem, Michal Aviad est une réalisatrice de documentaires et de fictions salués par la critique et récompensés par de nombreux prix. Elle a étudié la littérature et la philosophie à l’Université de Tel Aviv, et a commencé à réaliser des films à San Francisco dans les années 80. Après être retournée en Israël en 1991, elle a continué à écrire, réaliser et produire des films. Michal Aviad fait partie des membres supérieurs du corps professoral de la Tisch School of Cinema de l’Université de Tel Aviv. Après de nombreux documentaires primés dans des festivals du monde entier, Michal Aviad a réalisé son premier film de fiction, Invisible avec Ronit Elkabetz dans le rôle principal, qui a remporté le Prix Oecuménique à la Berlinaleen 2011, ainsi que les Prix du Meilleur film et de la Meilleure actrice au Festival du Film de Haïfa. Working Woman est son second long-métrage de fiction.
En amont du tournage, Michal Aviad a fait des recherches sur de nombreuses problématiques. Elle a commencé par essayer de comprendre comment la notion de harcèlement et les lois mêmes qui le pénalisent aujourd’hui avaient évolué à travers le temps. La cinéaste a aussi rencontré des avocates spécialisées dans les relations de travail qui représentaient des victimes à la cour.
"Elles m’ont rapporté des comportements choquants et de nombreux récits d’employées à qui on permettait de garder leurs jobs uniquement si elles avaient des relations sexuelles avec leur patron. À peu près au même moment, des allégations d’agressions sexuelles qui mettaient en cause des hommes puissants dans le monde entier,comme Strauss-Kahn ou Berlusconi, ont commencé à faire la une des journaux. Lorsque je me suis mise à écrire, ce n’était pas le matériau qui manquait !", confie Michal Aviad.
Working Woman a mis trois ans pour se faire. En Israël, la plupart des films sont financés avec des fonds publics et la compétition est dure. "On avait du mal à convaincre les lecteurs que notre film valait le coup d’être produit. « Il ne se passe rien», « Où est le drame ? », pouvait-on entendre. N’est-ce pas édifiant qu’un tel drame dans la vie d’une femme soit considéré comme un événement si peu dramatique au cinéma ?", raconte Michal Aviad.
Au niveau de ses sources d'inspiration cinématographiques, Michal Aviad avait des références de films inspirantes et des contre-exemples. Elle explique : "Depuis toujours, la représentation du sexe et du mélange sexe/violence au cinéma est faite pour émoustiller un public masculin. Quand Hollywood raconte une histoire de harcèlement sexuel au travail, ça donne Harcèlement de Barry Levinson, et l’harceleur est une femme ! Comme de nombreuses cinéastes telles Chantal Akerman avec Jeanne Dielman, Jane Campion avec La Leçon de piano, Claire Denis avec Vendredi soir ou Andrea Arnold avec Fish Tank, j’ai voulu trouver une nouvelle manière de montrer le plaisir et le danger ressentis par les femmes dans les scènes de sexe. Mon but n’est pas d’exciter les spectateurs, mais de leur faire éprouver la tendresse, l’amour, la peur, le dégoût, bref, tout le répertoire des émotions liées à la sexualité."
Michal Aviad a choisi Liron Ben Shlush pour jouer Orna en raison de plusieurs raisons : parmi elles, la prestation de l'actrice dans Next to Her (2014), qu’elle avait aussi écrit et dont elle incarnait le premier rôle. La réalisatrice se souvient :
"Nous avons auditionné une quarantaine de comédiennes dont beaucoup ont tenu à me raconter leur propre histoire de harcèlement sexuel. Lorsque nous avons visionné les essais, j’ai su immédiatement que Liron était la bonne. Elle ne m’a rien raconté du tout, mais il y avait chez elle un mélange de force et de fragilité qui m’a fait comprendre tout de suite qu’elle était Orna. Je l’ai appelée dans la seconde pour le lui dire. Elle m’a demandé les dates du tournage, je lui ai répondu en mai. Et là, elle m’a annoncé qu’elle était enceinte de vingt semaines, tout en promettant qu’elle serait sur le plateau juste après avoir accouché, début juin. J’étais convaincue qu’elle était mon héroïne et je savais aussi pertinemment qu’elle ne pourrait pas tourner juste après avoir accouché. Alors, avec le soutien total de mes producteurs, on a reporté le tournage au mois d’octobre pour laisser le temps à Liron de passer quelques mois avec son bébé."