Lettre d'une inconnue : les secrets du tournage

Lettre d'une inconnue est le deuxième film réalisé aux Etats-Unis par l'Allemand Max Ophüls. Dans une interview accordée en 1957 à Jacques Rivette et François Truffaut - alors critiques aux Cahiers du cinéma - le cinéaste évoquait les circonstances peu banales dans lesquelles il a convaincu le président d'Universal Bill Goetz de tourner cette adaptation de Zweig : "Pour lui parler en toute tranquillité, je savais combien il était difficile d'obtenir un rendez-vous ; et il y a toujours le téléphone pour interrompre les conversations. Mais il y a un bain turc au studio et je me suis arrangé pour prendre un bain de vapeur en même temps que lui. Tout nu, sous les douches, je l'ai entrepris sur Lettre d'une inconnue ; je lui disais que j'étais le seul metteur en scène au monde à pouvoir faire ce film, et il me répondait simplement, en hochant la tête : "Why not", ce qui signifie "pourquoi pas". Et voilà."

Les oeuvres du romancier d'origine autrichienne Stefan Zweig ont donné lieu à des dizaines d'adaptations cinématographiques. Parmi celles-ci, on peut citer Brennendes Geheimnis (Brûlant secret) porté à l'écran en 1933 par Robert Siodmak avec pour titre français Fin de saison, puis par le Britannique Andrew Birkin (Burning Secret avec Faye Dunaway en 1988). En 1934, Fedor Ozep réalisa Amok, à partir du livre homonyme, tout comme, 60 ans plus tard, le Français Joël Farges -Fanny Ardant était l'héroïne de ce long-métrage. Viktor Tourjansky a porté à l'écran La Peur avec Gaby Morlay en 1936, avant que Roberto Rossellini n'en propose sa version avec Ingrid Bergman en 1954. Curd Jürgens a été en 1960 le héros du Joueur d'échecs, réalisé par Gerd Oswald, tandis que Danielle Darrieux a été la vedette de 24 heures de la vie d'une femme de Dominique Delouche, un rôle repris par Agnès Jaoui dans un film de Laurent Bouhnik en 2003.

C'est grâce à son ami Howard Koch que Max Ophüls a pu contacter le vice-président d'Universal William Dozier -mari de Joan Fontaine- et lui parler de ce projet. Koch fut notamment le scénariste de Sergent York de Hawks et Casablanca de Michael Curtiz (Oscar du Meilleur scénario en 1944), avant d'être une des victimes hollywoodiennes du maccarthysme et de partir pour l'Europe, où il travaillera sous le pseudonyme de Peter Howard.

Lettre d'une inconnue marque la troisième collaboration de Max Ophüls avec le chef-opérateur Franz Planer. Celui-ci avait en effet déjà travaillé sur Liebelei (1932) tourné en Allemagne, puis sur la première expérience américaine d'Ophüls : L'Exilé (1947).

Max Ophüls a procédé à certaines modifications dans le récit : le héros est ainsi pianiste dans le film, alors qu'il est écrivain dans le livre. Par ailleurs, la fin du long-métrage et celle de l'ouvrage diffèrent.

Au générique du film, la lettre "h" du nom Ophüls a disparu : le cinéaste est crédité sous le nom "Max Opuls"...

La nouvelle de Stefan Zweig Lettre d'une inconnue avait déjà été adaptée à l'écran en 1929 par Alfred Abel, qui est surtout connu comme comédien, notamment chez Fritz Lang pour Metropolis (1927) ou Le Testament du docteur Mabuse (1932).

Après avoir été les héros de Lettre d'une inconnue de l'Allemand Max Ophüls, le Français Louis Jourdan et l'Américaine Joan Fontaine seront réunis en 1953 dans une coproduction anglo-espagnole, Pages galantes de Boccace, réalisée par l'Argentin Hugo Fregonese.

Outre les nombreuses adaptations cinématographiques déjà citées, Lettre d'une inconnue fut portée sur le petit écran en 2001 par Jacques Deray. Irène Jacob y tient le rôle de Rose et Christopher Thompson celui d'Albert Rank. On remarquera que l'acteur britannique avait déjà joué dans des adaptations de romans, notamment une des Misérables et une seconde du Comte de Monte-Cristo, sauf qu'il s'agissait de séries et non de longs-métrages et que Depardieu tenait le rôle-titre dans chacune d'entre elles. Les deux acteurs se retrouvent enfin quelques années plus tard dans la série Le Clan des Lanzac.

Max Ophüls, avant et après avoir adapté Lettre d'une inconnue, s'est attaché à dépeindre les vies tumultueuses des femmes qu'il portait à l'écran. Tant dans sa carrière allemande que dans l'hollywoodienne, il peint divers portraits de femmes plus ou moins scandaleux et libertins, de Liebelei à Lola Montès, son dernier film, en passant par La Dame de tout le monde et Madame de.... Lettre d'une inconnue s'inscrit donc parfaitement dans ce discours dithyrambique de l'éternel féminin.