Le film est présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2021.
Le film relate l’histoire vraie de Bruno Reidal, un paysan qui à l’âge de 17 ans, a décapité un adolescent de 12 ans dans un village du Cantal au début du XXe siècle. L’affaire a été caractérisée comme un cas de sadisme sanguinaire congénital par le rapport médico-légal dirigé par le Professeur Alexandre Lacassagne.
C’est en lisant Serial Killers de Stéphane Bourgoin que Vincent Le Port a découvert l’existence de Bruno Reidal : « Perdu au milieu de tueurs en série célèbres, médiatisés, et pour la plupart d’entre eux des américains de la deuxième moitié du XXe siècle, se trouvait ce jeune paysan cantalien de la fin du XIXe siècle, qui en plus n’est pas à proprement parler un tueur en série puisqu’il n’a tué qu’une seule fois. » L’ancrage temporel et géographique inhabituel, l’atrocité du meurtre qui contrastait avec l’image timide qu’avait Bruno ont marqué le réalisateur, qui a alors entrepris des recherches à Lyon, dans les archives du professeur Lacassagne, où il a trouvé les mémoires de Bruno.
Au-delà du fait divers, le réalisateur souhaitait dresser le portrait d’une vie cachée, « invisible, dans ces pulsions enfouies que Bruno a combattues, dans son impossibilité à communiquer ou à atteindre le bonheur, ce qui peut résonner chez n’importe qui, chacun à son échelle. Et puis ça posait cette question : comment lutter contre ce que l’on est intrinsèquement au fond de soi, peut-on se "débarrasser" de soi ? Il y avait là quelque chose qui évoquait le destin et le libre arbitre qui m’intéressait. »
C’est la force littéraire du texte écrit par Bruno Reidal lors de son arrestation qui a poussé le réalisateur à adopter entièrement le point de vue du meurtrier : « La découverte d’un tel style chez un jeune paysan de 17 ans, dans le Cantal de 1900, sa manière d’analyser si finement son environnement ainsi que ses propres pulsions, ses pensées et ses émotions, avec cet étrange mélange de distance et d’intériorité, c’est cela qui a donné son orientation au film. Ce texte est le témoignage d’une grande intelligence, d’une grande lucidité, en même temps que d’un grand détachement et d’une incapacité à prendre réellement conscience de la portée de son geste. »
Il y a très peu de décalage entre ce qui est dit et ce qui est représenté à l'écran : l’image illustre ce que raconte Bruno. Il était très important pour le réalisateur de ne pas mettre en doute la véracité de son témoignage : « Son récit est sincère, il se met à nu. » Il précise : « Sur le rapport entre l’image et la voix, celui-ci devait selon moi correspondre à l’écriture de Bruno, retranscrire ce mélange d’intériorité et de distance. À quelques rares exceptions près, les images ne sont pas des projections mentales, elles sont le témoignage d’un passé qui a existé et qui est révolu. » L’idée n’était pas tant d’être dans la tête de Bruno qu’à côté de lui, comme s'il nous racontait ses sentiments et sensations.
Le film se concentre sur la confession de Bruno Reidal, en accueillant la froideur de sa parole. Le coupable s’est rendu de lui-même aux autorités après son meurtre. Il n’y a pas de mystère à résoudre dans cette affaire, si ce n’est de savoir ce qu’il y a vraiment au fond de Bruno : « Évacuer le suspense du meurtre, ça a donc été tout de suite une volonté forte. Dire dès le début où, quand, qui, quoi, comment, afin que demeure le plus important : le pourquoi. »
Le film ne donne aucune explication, aucune rationalisation du geste de Bruno : « Je voulais épouser l’horreur pour la réfléchir, sans forcément la comprendre. Car il y a une zone sombre et qui le demeurera à jamais, pour nous comme pour lui, à savoir l’origine de ses pulsions meurtrières », affirme Vincent Le Port. Le réalisateur est conscient que son long-métrage est moralement trouble, car il épouse en grande partie le point de vue de Bruno qui n’éprouve aucun remords, « mais qui d’un autre côté ne reporte jamais la culpabilité de son geste sur une tierce personne ou institution. [...] Il explique très bien, et presque malgré lui, comment tout cela l’a façonné, mais il ne blâme rien ni personne en particulier, dans un mélange de fatalisme et de résignation ».
Vincent Le Port a choisi d’écarter certains éléments de la vie de Bruno Reidal, cités dans ses mémoires et le rapport médico-légal, pour ne pas réduire le cours du récit à un certain déterminisme. Ainsi, la violence de sa mère et l’alcoolisme de ses parents ont été réduits pour ne pas faire de ses personnages des boucs émissaires, seuls responsables des pulsions de leur fils. D’autres éléments ont été enlevés pour des raisons économiques (la chute de Bruno depuis une fenêtre n’est pas évoquée, le nombre de frères et sœurs a été réduit), tandis que d’autres ont été étirés, comme le viol dont Bruno a été victime et qui est à peine évoqué dans ses mémoires.
Le film montre Bruno Reidal à travers trois âges. Il a fallu huit mois pour trouver ses interprètes. Alex Fanguin joue Bruno à six ans : « Avec ses cernes naturels, son côté "Petit Gibus" taciturne et lunaire, il apportait la rudesse de cette fin du 19ème siècle », témoigne Vincent Le Port. Roman Villedieu incarne Bruno à dix ans : « Roman savait exactement ce qu’il jouait, les tenants et aboutissants de chaque séquence, et il a été d’une incroyable maturité pour interpréter des choses très compliquées, avec une intensité et une capacité à intérioriser les émotions remarquables. » Quant à Dimitri Doré, c’est Jean-Luc Vincent, l’interprète de Lacassagne, qui l’avait vu jouer dans une pièce l’année précédente, qui a conseillé au réalisateur de le rencontrer. Il s’agit de son premier rôle au cinéma : « Même s’il est dans la vie très différent du personnage, Dimitri fait exactement la même taille et le même poids que le vrai Bruno Reidal, sa voix aiguë était exactement ce que j’avais en tête ».
Bruno Reidal n’est pas sans rappeler Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère de René Allio, qui relate l’histoire vraie d’un jeune paysan qui égorgea à coups de serpe sa mère, sa sœur et son petit frère dans un village normand en 1835. Une référence qui a été au début un poids pour Vincent Le Port, qu'il considère comme l’un des plus grands films du cinéma français. Mais en se plongeant dans l’écriture, il s’est aperçu que leurs obsessions et leur rapport au monde étaient très différents. « Le film de René Allio est beaucoup plus naturaliste, ancré dans un quotidien, beaucoup plus historique je dirais. La façon dont il aborde la famille, les travaux quotidiens, l’appareil d’État est tellement réussie que je me suis dit qu’il nous fallait aller ailleurs. » Ce sont finalement des films comme Paranoid Park, Mes petites amoureuses et Un homme qui dort qui l’ont influencé, pour leur portrait d'adolescents solitaires et paumés.