Premier de la classe est le premier long-métrage en tant que réalisateur de Stéphane Ben Lahcene. Le cinéaste a fait des études de sciences politiques dans lesquelles il s'est vite ennuyé et qui lui ont directement amené à écrire pour des programmes comme Le vrai journal sur Canal + ou Caméra café sur M6 et Samantha sur France 2. "Je suis ensuite passé à des formats plus longs, toujours en télé, et enfin à l’écriture de scénarios pour le cinéma. J’ai travaillé entre autre avec Olivier Baroux sur L’italien avec l’idée qu’un point de vue sociétal pouvait aussi déboucher sur une comédie, comme dans Premier de la classe… Avec mon producteur Mikaël Abecassis, nous avons décidé de travailler sur l’idée d’un gamin insouciant, qui trafique ses bulletins et qui triche à l’école, mais qui finit par être dépassé par ses propres mensonges et rattrapé par la réalité."
L’action du film a lieu au coeur de la communauté malienne mais ça aurait tout aussi bien pu être des Maghrébins ou des Bretons, selon le réalisateur Stéphane Ben Lahcene. "Je viens moi-même d’une famille d’immigrés, même si je suis de la troisième génération. Et j’ai vécu ma jeunesse dans une cité qui ressemble à celle des Keita. Je connais donc l’importance de l’idée de s’en sortir… Le père d’Abou martèle ça avec une vraie profondeur parce qu’il sait concrètement ce que ça signifie. Au milieu du film, il a ces mots : « Moi, j’ai quitté la misère avec mes pieds. Toi, tu vas la quitter avec ta tête. Tu es ma fierté » et ça a une grande valeur à ses yeux… Quant à la fracture enfants-parents, nous l’abordons par exemple avec la scène de ce boubou porté par le père d’Abou pour la réunion avec les profs. Pour son fils, sortir accompagné de son père qui porte cette tenue traditionnelle à l’effigie des présidents français de la République, c’est la honte assurée. Mais Konan (dit « le barbare » pour ses fils) n’est pas né sur le même continent ni à la même époque…", explique le cinéaste.
Premier de la classe traite de cette période compliquée de l’adolescence, du rapport à soi, aux autres et à l’éveil des sentiments. À cet âge-là, pour un garçon, ce qui compte ce sont les parents, l’école, les potes et les nanas, d'après le réalisateur Stéphane Ben Lahcene. "Il me semblait important que ces quatre paramètres soient au coeur de l’histoire. C’est aussi pour ça que j’ai voulu que l’acteur qui joue Abou soit réellement un ado de 14 ans et non pas, comme dans beaucoup de films, un mec de 18 ans qui ressemble à un ado… Croyez-moi, c’est beaucoup plus difficile à caster et à diriger, mais c’est primordial… D’ailleurs, J’ai voulu inverser les codes habituels entre les filles et les garçons. Tanja est une gamine plus déterminée que celles que l’on montre habituellement et a contrario, Abou, est un gamin un peu pataud. Ça m’amusait que ce ne soit pas le « héros » qui parte à la recherche de la princesse ! C’est ma pierre à l’évolution des moeurs !"
Le film propose également un regard très lucide sur le monde de l’éducation. Stéphane Ben Lahcene ne tombe jamais dans la caricature et essaie au contraire de montrer des enseignants certes engagés mais victimes de l’état de leurs établissements et du système scolaire. "Là aussi j’ai essayé de montrer la réalité… Aujourd’hui, comme dans le film, un prof peut voir débarquer dans sa classe un type du rectorat qui lui explique combien il est essentiel de programmer une heure de latin en demi-groupe alors que le bahut n’a plus de prof de maths. Il suffit hélas de regarder autour de soi pour voir que la situation n’a pas changé. L’inspecteur du film propose lui, de passer à l’enseignement 3.0 grâce à l’informatique dans un collège totalement décrépi et il donne aux profs pour objectif intenable d’y parvenir d’ici la fin de l’année scolaire. Tout ça entre les fuites d’eau et les sous-effectifs ! Je précise d’ailleurs que les deux établissements dans lesquels nous avons tourné étaient dans l’état que vous verrez à l’image : ce n’est pas un travail de décoration !", révèle le metteur en scène.
L’aspect visuel du film est très soigné, ce qui n’est pas toujours le cas dans les comédies françaises. Pour Stéphane Ben Lahcene, c’est l’attention portée à tous les niveaux, du script au tournage, en passant par la musique et la post-production qui fait la valeur d’un film. Le cinéaste a été extrêmement vigilant sur tous les sujets : le choix et la direction d’acteur mais aussi les costumes, les décors ou la lumière pour que nous soyons dans une comédie du réel. "Quand on me dit que c’est beau, je réponds tant mieux, d’autant qu’il fallait aussi que ce soit vrai et parfois moche ! Un vrai beau moche en quelque sorte. Quant aux lieux où habitent les personnages ou leurs vêtements, j’ai aussi fait très attention à ce que tout soit cohérent sociologiquement. Abou ne peut pas être habillé comme son pote syrien qui vient d’arriver en France ou comme son pote Esteban, un peu plus aisé. La maison de Mme Martin, en banlieue pavillonnaire, ne peut pas non plus ressembler à l’appartement d’Abou même si elle est juste à côté de sa cité. Les différences sont mineures à l’image mais elles sont fondamentales. Il y a plein de films où ces considérations sont un peu délaissées : on veut que ce soit juste joli à l’écran", déplore le réalisateur.
Mutamba Kalonji, qui incarne Abou, n’avait quasiment jamais joué. C’est au casting que Stéphane Ben Lahcene le découvre, sachant que lui et son équipe ont vu tous les gamins d’origine africaine disponibles entre 14 et 16 ans. "Mutamba s’est immédiatement démarqué : c’était le meilleur ! En plus, il est beau comme un dieu, juste, sympa."
Selon Stéphane Ben Lahcene, pour bien diriger un comédien débutant, il faut essayer tout ce qui est possible, tâtonner, lui donner une intention pour qu’il la reproduise, l’isoler quelques fois pour qu’il se concentre, le laisser libre à d’autres moments pour voir ce que ça donne, l’entourer un maximum… "Nous avons beaucoup répété, travaillé deux mois avant le tournage en lui expliquant le rôle mais aussi en cherchant à comprendre qui il était, comment mon histoire résonnait sur lui. Je voulais comprendre par exemple quel était son propre rapport à l’école, à ses parents… Ensuite sur le plateau, il faut être très vigilant sur le texte ou la concentration mais Mutamba Kalonji a été très pro et discipliné… J’ajoute que dans la vraie vie, il avait un point commun avec Abou : au moment du tournage, il n’avait pas de très bons résultats à l’école et il a même fallu convaincre son principal de collège, qui devait lui donner une autorisation pour manquer deux mois de cours ! Nous avons donc mis en place un planning de tournage très serré dans lequel il pouvait aussi travailler ses cours et ça a payé puisqu’il est passé dans la classe supérieure !"
C’est Pascal NZonzi, célèbre André Koffi de la saga du Bon Dieu, qui joue Konan, le père d’Abou. Le rôle était écrit pour lui dès le début. "Je me souviens que son nom était noté dans la toute première version du synopsis ! Je trouvais que Pascal avait à la fois quelque chose de généreux, d’impressionnant et de bourru : la figure tutélaire du père africain. Je lui ai dit que je voulais du réel et pas une farce. Lui m’a confié que ce personnage lui rappelait exactement l’attitude et les mots de son propre père sur l’école, les valeurs, la transmission… Pascal est un formidable comédien et il apporte beaucoup à son rôle et au film. Sa prestation rend son personnage universel. En quelque sorte, il est notre père à tous", déclare Stéphane Ben Lahcene.