Depuis des jours, à la Nouvelle-Orléans, un duo d'ambulanciers vient au secours de victimes d'une nouvelle drogue, le Synchronic, aux effets très étranges...
Remarqué notamment pour les excellents "Spring" et "The Endless", le tandem Justin Benson et Aaron Moorhead, petits génies de la SF minimaliste et ambitieuse, fait son retour avec un nouveau projet atypique mené, cette fois, par deux têtes d'affiches célèbres : Jamie Dornan et Anthony Mackie.
Cette utilisation soudaine d'acteurs plus connus par des surdoués de la SF indé fait immédiatement penser au récent "Bliss" de Mike Cahill, autre réalisateur très talentueux en la matière mais qui paraît hélas avoir perdu de sa superbe en choisissant des noms hollywoodiens (Owen et Salma Hayek en l'occurence) dans un film basé pourtant sur une belle idée. La crainte de voir Benson & Moorhead subir le même sort vient fatalement nous assaillir mais les prémices de "Synchronic" ont tendance à nous rassurer. Il suffit même de l'ouverture du film où deux toxicomanes perdent pied avec la réalité après avoir ingéré la mystérieuse drogue pour nous convaincre que le duo a un nouvel univers nimbé d'étrange à nous dévoiler. Et la suite de l'exposition est dans la même lancée en préférant s'attarder avant tout sur la ville de La Nouvelle-Orléans encore en train de panser les plaies de son passé récent.
La composition des décors passe ainsi souvent par des lieux dévastés, en ruines ou faisant office de taudis pour de pauvres hères locaux. Les couleurs y apparaissent délavées, comme à jamais emportées par les eaux de terribles inondations, et, à travers le plan-séquence couvrant la confusion de la première intervention des héros ambulanciers, autant dire que les questions des violences policières et du racisme sont toujours tristement d'actualité. La vision de Benson & Moorhead accentue la déchéance de la ville en nous faisant bien comprendre que ses habitants font désormais tout pour échapper à ce passé qui les a tant fait souffrir (même ses héros), quitte à sombrer dans l'échappatoire facile mais dangereux des paradis artificiels. Et c'est précisément là que le Synchronic et ses effets secondaires "stupéfiants" vont intervenir afin d'abord d'amplifier l'atmosphère unique de cette ville laissée à son propre sort, puis de nous montrer que les envolées tonitruantes de la caméra entre l'inconnu des cieux et cette terre désolée ne sont pas dues au hasard...
En parallèle, s'ils ne sont pas désagréables, il faut bien avouer que les personnages principaux sont surtout utiles pour nous faire découvrir les ravages de la Synchronic dans les bas-fonds de La Nouvelle-Orléans. La complémentarité et les aléas de leur relation ne sont pas des plus passionnants ou originaux (tout comme leurs drames respectifs) mais la combinaison de leurs progressions individuelles va justifier le fait de confronter la force de leur amitié aux pouvoirs de la Synchronic, en leur donnant à la fois un but héroïque commun et l'occasion de mener des expérimentations sur ses effets.
C'est d'ailleurs surtout grâce à cette partie "tests" que "Synchronic" va tirer son épingle du jeu ! Le film fixe en effet de nouvelles règles, un nouveau mode de fonctionnement à un phénomène SF pourtant très familier mais qui, ici, est revisité avec tellement de panache et de générosité (malgré la maigreur du budget) que Benson & Moorhead réussissent à décupler cette espèce de fascination naïve, aujourd'hui trop souvent oubliée, autour de ce concept éprouvé. Le rôle-clé d'Anthony Mackie au cœur de ces événements va lui permettre de briller aux dépens de celui de Jamie Dornan, condamné à faire du surplace autour d'un puzzle de souvenirs censé répondre sans grande conviction au caractère aléatoire des expériences de son ami. Dans l'adversité, l'amitié partagée entre les deux hommes sera finalement le vecteur d'émotions le plus efficace de "Synchronic", elle en restera le moteur jusque dans sa résolution touchante qui saura mettre en valeur tout la puissance du lien unissant les deux ambulanciers.
La patte singulière de Justin Benson et Aaron Moorhead se fait donc suffisamment sentir pour imprégner "Synchronic" d'une ambiance étrange et de fulgurances bien plus réjouissantes que le tout-venant SF mais il faut reconnaître que l'on a connu les réalisateurs plus inspirés en matière d'enjeux humains et dans la manière de les lier intimement à une anomalie SF, les faiblesses du long-métrage sur ces points en font assez nettement l'oeuvre la plus mineure de la filmographie des deux hommes. À l'avenir, on espère ainsi que Benson & Moorhead renoueront avec leurs sommets précédents plutôt que de céder à certaines facilités en vue de s'élargir à un plus large public, voir dériver leur cinéma vers l'uniformité tiendrait de la plus amère des déceptions...