Ema (Mariana Di Girolamo) est une jeune danseuse. Elle vit en couple avec Gaston (Gael Garcia Bernal), un chorégraphe plus âgé qu’elle. À cause de l’infertilité de Gaston, le couple a décidé d’adopter. Mais l’adoption s’est mal passée. Polo, le petit Colombien de dix ans qui leur a été confié, s’est révélé violent et a manqué tuer la sœur cadette d’Ema si bien que Ema et Gaston se vont vus contraints de le rendre au service de l’adoption.
Le couple se remet mal de cet échec.
Après avoir surpassé ses aînés, cinéastes de l’exil, Alejandro Jodorowsky, Raul Ruiz et Patrizio Guzman, Pablo Larrain est devenu le cinéaste chilien le plus connu au monde. Ses films ont longtemps scruté l’histoire de son pays, en particulier les plaies mal cicatrisées de la dictature militaire ("Tony Manero", "Santiago 73, post mortem", "No", "El Club", "Neruda"). Après un détour par Hollywood où il a brossé un portrait de la première dame américaine au lendemain de la mort de JFK ("Jackie" avec Natalie Portman dans le rôle titre), l’enfant prodige revient au pays.
"Ema" est a priori dépourvu de la charge historique qui lestait ses films précédents. Son action se déroule dans le Chili contemporain, à Valparaiso, loin de la dictature militaire, de ses complices silencieux, de ses prêtres pédophiles. Il n’en est pas pour autant insignifiant, livrant un portrait particulièrement aiguisé des "millenials" chiliens. Ema incarne cette génération, paradoxalement rebelle et intégrée, individualiste et militante, "gender fluid" et maternelle.
Ema est danseuse. Elle fait partie de la troupe que dirige Gaston et on comprend que leur rencontre s’est faite ici. Mais il y a entre les danseurs et leur chorégraphe un fossé générationnel. Si Emma et ses partenaires déversent leur trop plein d’énergie dans le reggaeton, Gaston voudrait les canaliser vers des chorégraphies plus abouties. En tous cas, comme le laissait espérer la bande-annonce, "Ema" n’est pas avare en scènes de danse d’une furieuse vitalité filmées en extérieur sur les toits de Valparaiso. Les afficionados du Théâtre de la Ville – j’en suis – y trouveront leur compte.
Le montage du film est déstructuré. Une telle construction, qui multiplie les ellipses et se joue parfois de la chronologie, exige une vigilance de chaque instant et manque nous égarer. J’ai dit il y a quelques jours combien elle m’avait irrité dans le film japonais "L’Infirmière".
Mais, ici, cette construction, qui ne m’a jamais laissé sur le bord de la route, est à la service d’un projet cohérent : coller au bouillonnement intérieur d’Ema, déchirée par la perte de son fils et révoltée par la passivité de son compagnon. Surtout, cette construction kaléidoscopique s’éclaire à la fin du film. On comprend alors que le vrai sujet de "Ema" n’est pas le chaos intérieur de son héroïne, filmé sans queue ni tête, mais la machination qu’elle a méticuleusement ourdie dont chaque élément du puzzle vient savamment s’agencer.
Peu importe que la machination soit machiavélique et peu crédible, on sort de la salle doublement soufflé : soufflé par la folle énergie d’Ema, soufflé par sa froide détermination.