Manta Ray est en quelque sorte un prolongement du court métrage de Phuttiphong Aroonpheng réalisé en 2015, Ferris Wheel, qui traite également des travailleurs migrants et de la frontière poreuse entre la Thaïlande et la Birmanie. "Mon scénario de départ, Departure Day, était en deux parties : la première montrait un travailleur immigré du Myanmar passant la frontière thaïlandaise, et la deuxième partie devait se passer dans un port de pêche et raconter la quête d’une véritable identité pour un homme mystérieux. La première partie est devenue Ferris Wheel et j’ai développé la deuxième partie pour en faire Manta Ray."
Quand Phuttiphong Aroonpheng a écrit une première version du scénario il y a de nombreuses années déjà, la question rohingya n’était pas dans l’actualité et il ne savait quasiment rien de cette minorité ethnique. À l’époque, le metteur en scène était dans l’art vidéo et s’interrogeait sur la question de l’identité, et particulièrement sur la manière dont les artistes trouvent leur identité par leur travail. "À partir de là, j’ai commencé à me pencher davantage sur ce que peut contenir le terme « identité » : le moi, la frontière, l’appartenance ethnique, la nationalité. À la fin des années 2010, la question rohingya est davantage apparue dans les médias. Mais j’ai continué à m’intéresser au problème de l’identité de manière abstraite. Ce n’est pas une question spécifique concernant des groupes de personnes, ni même le passé ou le présent en particulier, mais bien une question d’histoire et de préjugés. On méconnaît tellement les autres."
Phuttiphong Aroonpheng, né en 1976, a étudié les arts plastiques à l’Université Silpakorn de Bangkok. Ses courts métrages ont été programmés dans des festivals comme Busan, Rotterdam, Hambourg et Singapour. Son court métrage de 2015, Ferris Wheel, a été montré dans plus de vingt festivals et a reçu dix prix. Il a participé à l’Asian Film Academy de Busan en 2009 et a été aussi distingué comme un des intellectuels publics asiatiques par la Nippon Foundation. L'artiste a été aussi directeur de la photographie des films suivants : Vanishing Point de Jakrawal Nilthamrong, The Island Funeral de Pimpaka Towira, et Dolphines de Waleed Al-Shehhi.
Pour Phuttiphong Aroonpheng, l’idée était de filmer les personnages au téléobjectif. Le cinéaste voulait qu’ils soient vus à distance et jamais en gros plan. Il souhaitait également un rendu réaliste. "Peut-être parce que j’avais tourné auparavant beaucoup de publicités pour lesquelles on me demandait d’être méticuleux et d’en faire des tonnes pour avoir un rendu bien léché. J’ai donc souhaité l’inverse pour mon propre film : quelque chose de cru, sans embellissement. Le scénario de Manta Ray tient sur quelques pages, une trentaine en tout. J’avais l’intime conviction qu’avec mon équipe, nous serions capables de créer sur les lieux de tournage. Le scénario n’était qu’un guide et on pouvait ainsi s’adapter à notre environnement. Le style visuel qu’on a adopté en est aussi le reflet."
En dehors de l’aspect visuel, c’est le son qui semble aussi constituer un aspect important de l'oeuvre. On entend beaucoup de musiques construites sur mesure avec des sons complexes, parfois avec des instruments qui sont difficiles à identifier. C’est très différent de la plupart des films thaïlandais contemporains qu’on a l’habitude de voir. "On a travaillé avec Snowdrops, un groupe de musique de Strasbourg qui utilise un instrument particulier, les ondes Martenot. Après le tournage, j’ai écouté de nombreuses propositions musicales pour notre bande originale et c’est le travail de Snowdrops qui m’a le plus attiré et que j’ai retenu. C’était proche du son des films expérimentaux des années 1950. Personnellement, puisque je viens d’un univers où le visuel prime, j’ai une préférence pour les sons travaillés plutôt que pour les mélodies instrumentales", confie Phuttiphong Aroonpheng.
Pour les critiques et les publics internationaux, la référence art et essai thaïlandaise, c’est toujours Apichatpong Weerasethakul. Le film de Phuttiphong Aroonpheng est différent des siens à beaucoup d’égards, particulièrement du point de vue de l’approche formaliste, mais la comparaison semble tout de même inévitable. "Ça ne me gêne pas du tout ! Comme directeur de la photographie, je regardais et admirais les films d’Apichatpong et ses films ont eu une certaine influence sur moi. Dans Manta Ray, le personnage du soldat marque une ressemblance avec le cinéma d’Apichatpong, et les critiques en feront la remarque. Mais si vous voulez savoir quel réalisateur m’a le plus influencé comme artiste, il s’agit de David Lynch et en particulier d’Eraserhead. Je ne comprends pas ce film et je ne sais même pas de quoi il parle finalement, mais c’est ce genre de film que j’ai envie de réaliser", déclare le metteur en scène.